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pelet tous les vocables qui lui venaient à l’esprit et d’accumuler dans la même phrase jusqu’à douze à quinze épithètes ? Les exemples donnés par M. Albalat sont fort plaisants, mais si Gargantua n’avait pas joué, sous l’œil de Ponocrates, à deux cents et seize jeux différents, tous très beaux, cela serait très fâcheux, quoique « les grandes règles de l’art d’écrire soient éternelles ».

La concision est parfois le mérite des imaginations rétives ; l’harmonie est une qualité plus rare et plus décisive. Il n’y a rien à relever dans ce que dit M. Albalat à ce propos, sinon qu’il croit un peu trop aux rapports nécessaires qu’il y aurait entre la légèreté, par exemple, ou la lourdeur d’un mot et l’idée qu’il détient. Illusion née de l’accoutumance, que l’analyse des sons détruit. Ce n’est pas seulement, dit Villemain, par imitation du grec ou du latin fremere que nous avons fait le mot frémir ; c’est par le rapport du son avec l’émotion exprimée. Horreur, terreur, doux, suave, rugir, soupirer, pesant, léger, ne viennent pas seulement pour nous du latin, mais du sens intime qui les a reconnus et adoptés comme analogues à l’impression de l’objet[1]. Si Villemain, dont M. Albalat adopte

  1. L’art d’écrire, p. 138.