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Pas plus que l’Anglais ou le Français d’aujourd’hui, ils ne voulurent considérer comme un outil respectable la langue des vaincus ; les soldats de César ne songèrent pas plus à parler gaulois que mexicain les compagnons de Cortez. Chose singulière, Cortez avait trouvé un interprète au seuil de l’empire mystérieux qu’il allait dompter en quelques semaines ; César en trouva autant qu’il y avait de dialectes en Gaule : il y a des hommes pour qui les défenses de la nature deviennent des complices. Mais le futur vainqueur de l’Europe rencontrera, non des dialectes sans intensité, mais les langues robustes et résistantes, appuyées sur des littératures anciennes, respectées, vivaces, sur des traditions administratives, sur la foi populaire qui, en certains pays d’Europe, identifie avec beaucoup de raison la langue, la race et la patrie politique. Dans ces luttes suprêmes, les littératures seront encore une force ; quand les armées auront été anéanties, au-dessus des mâles égorgés les femmes se dresseront pleines d’imprécations et de gémissements où la langue des vaincus affirmera sa volonté de vivre, même pour la souffrance et pour le désespoir, et les enfants oublieront difficilement le son des syllabes qui auront, autant que les larmes, autant que les san-