Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/291

Cette page n’a pas encore été corrigée

occidentale. La destinée d’une langue est déterminée par deux causes, l’une intime et l’autre d’action extérieure, l’une toute littéraire et l’autre toute politique. Cette seconde cause est la plus forte ; elle peut anéantir la première ; mais si elle s’y ajoute, au lieu de la contrarier, elle peut acquérir une puissance indestructible. L’avenir sera ce qu’il lui plaira ; ce qui est hors de notre influence et de notre raison ne doit pas nous intéresser fortement. Cependant il est évident que la langue de l’Europe future sera la langue du vainqueur de l’Europe ; et s’il est probable que la Russie soit la Rome de demain, il est probable que le russe soit le latin des prochains siècles. Le rôle de la France, avilie par des gouvernements indignes, étant désormais purement littéraire (à moins d’un improbable réveil), la question qui peut amuser est celle-ci : dans quelle proportion, à côté de la langue du vainqueur, les langues des vaincus futurs peuvent-elles espérer de vivre littérairement ?

C’est-à-dire à l’état de langues mortes, de langues de parade ou de cénacles. Car la vie et l’unité d’une langue sont intimement liées à la vie et à l’unité politiques d’un peuple. L’histoire de la langue française l’a montré clairement, quoique à rebours, et l’évolution de l’espagnol