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jadis est imprécis. Je vois bien, d’après les petits bonshommes gradués comme des fioles d’officine (dont le démonstrateur éclaire libéralement l’intellect de ses nombreux lecteurs), je vois bien, dis-je, que le français est aujourd’hui serré d’assez près par le japonais et que, bien au-dessus de la française, la fiole russe dresse sa capsule noire ; je vois bien les rapports arithmétiques qu’il y a entre les chiffres 85, 58 et 40, — mais c’est tout, car il s’agit des langues humaines, c’est-à-dire de pensée, d’art, de poésie, et non pas de sucre, de poivre ou de café. Songez qu’il y a presque deux fois plus de moulins à parole qui broient du russe qu’il n’y en a d’abonnés à moudre du français ! Et quoi ? Il y a encore bien plus de moulins chinois : il y en a trois ou quatre cent millions. La statistique est l’art de dépouiller les chiffres de toute la réalité qu’ils contiennent. Un égale un, parfois ; le plus souvent 1 = x. L’auteur, qui est israélite, devrait se souvenir qu’une petite tribu de Bédouins a imposé sa religion au monde entier. Le grec classique n’a jamais été parlé à la fois par un peuple plus nombreux que les Suisses ou les Danois.

Mais le grec serait mort et sa littérature aurait péri sans la puissance byzantine ; et c’est le javelot romain qui planta le latin dans l’Europe