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L’idée que la charité doit être utile est presque nouvelle ; elle date sans doute de saint Vincent de Paul, ou du moins l’on s’accorde à faire honneur de cette invention curieuse au célèbre philanthrope, au Parmentier des petits enfants. Avant lui, la charité n’était qu’un rachat de personnelles fautes ; elle gardait son caractère égoïste et digne de prodigalité ; elle était vraiment, le plus souvent, un don sans conditions, sans but que d’être un don ; elle était un sacrifice ; elle avait la grâce et la pureté de l’oubli : elle ne suivait pas son argent des yeux. Aujourd’hui l’on va jusqu’à produire, presque en justice, le reçu du Pauvre, avec timbre de quittance. On fait un placement de vanité ou de peur. Le carnet à souche de l’aumônière est devenu un bouclier contre les jets de boue, et quand il est périmé on en fait de la pâte à papier d’affiches. La charité est devenue une des formes de la réclame : savoir piper l’argent miséricordieux et le répartir entre les plus adroits hurleurs est un talent apprécié chez les journalistes, qui envient un métier si généreusement productif et chez les petits bourgeois qui ont le respect de la comptabilité, de l’ordre, de l’économie et qui donnent, non au pauvre qui passe, mais à l’indigent certifié par un numéro d’agenda.