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de l’intelligence ; — mais la véritable charité est l’acte de l’homme conscient qui vit selon sa propre personnalité et d’après les règles de sa logique intérieure et individuelle. Cet homme donne ce qu’il a et donne ce qu’il est. Pour fleurir, il n’emprunte pas, chardon, la sève du lys, il n’est ni le lierre ni le miroir : il ne plante pas ses griffes dans la tige plus forte d’autres intelligences, ni ne vole la grâce d’autres âmes ; herbe ou métal ou créature vivante, il n’offre à la frairie des êtres et des choses que l’opulence naturelle d’un généreux égoïsme, conforme au rythme, adéquat aux gestes divins.

La plus grande charité est donc de vivre et de consentir à être dans la prairie une tache d’ocre ou de laque et de borner son rôle aux relations qu’une nuance doit avoir avec les autres nuances. Mais pour vivre il ne suffit pas d’exister ; il faut avoir la conscience de sa vie et de sa couleur et de son jeu et, cette triple conscience acquise, maintenir la succession de ses phénomènes et l’activité de son intelligence : en cela, l’homme est dieu et son propre Dieu, et, devenu son propre Dieu, il atteint le sommet suprême de la charité, qui est l’amour de soi-même en quoi est impliqué le don de soi-même.

Aimer, c’est donner ; s’aimer, c’est se donner :