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à-dire par moi-même, et je reconnais, cette fois indubitablement, que je ne puis pas ne pas me limiter, car, dès que je pense, je pose l’hypothèse de la pensée. Me voilà donc limité par ma propre pensée, et plus je pense plus je me limite, plus je crée d’obstacles au développement de mon primordial absolutisme ; devenue pareille à l’œil à facettes d’une mouche, ma pensée multiplie les ennemis de son unité et j’ai devant moi la formidable armée des Autres. Mais que l’ennemi soit un ou multiple, il gêne également ma liberté, et, m’ayant forcé à le concevoir, il me force à « entrer en pourparlers » avec lui.

A condition qu’il ne me nie pas, j’admettrai, autant que je puis le faire, autant que me le permet ma nature, son existence hypothétique, — et nécessairement s’il me rend la pareille. Ce n’est, après tout, qu’un échange de bons procédés et de réciproques concessions. Au lieu de la guerre, je propose la paix ; je laisse la vie à celui qui me la laisse, — et à celui qui m’a retiré de l’abîme et qui en m’en retirant y est tombé lui-même, je jette à mon tour la corde du salut. Nouveaux Dioscures, nous vivrons chacun notre jour, nos nuits ne seront que de périodiques instants et nous y jouirons des magnifiques alternatives de la lumière et de l’ombre :