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n’est pas immédiate et foudroyante, il peut s’animer et vous faire de ses mains froides un terrible collier de métal. A mon avis, les plus beaux coups en ce genre seront toujours malheureux, surtout à une époque où l’opinion est si divisée, où il est si facile de se faire condottière, de recruter un parti et une armée. Comme je vous l’ai dit, attaquez plutôt par des paroles, que vous pouvez toujours renier.

La seconde partie du conseil de Swift me semble au contraire très recommandable et franchement je l’approuve de prohiber la louange. Cela est mauvais : ceux que vous louez de votre mieux, en illuminant les parties belles, en ménageant les ombres, se trouvent toujours estimés au-dessous de leur valeur, et quand même vous eussiez monté le ton du panégyrique jusqu’à l’hyperbole et jusqu’au ridicule, ils ne vous pardonneront jamais, à moins d’avoir la candeur du génie où la fraîcheur des âmes généreuses, le signe d’amitié que vous faites à leurs voisins ; quant à ceux que vous auriez tus, ils vous rendraient silence pour silence, et votre entreprise ne serait nullement profitable.