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celles que l’on garde sous clef, dans sa tête ; on est l’esclave de celles auxquelles on a ouvert la porte. Si par hasard, ce que je ne crois pas, vous teniez à vous mêler à quelque grand débat littéraire, usez de voie détournée et prenez pour prétexte la peinture ; les peintres peuvent supporter les critiques les plus absurdes, car ils ne répondent pas et il est facile, en visant un artiste, de blesser grièvement un littérateur qui avoue les mêmes principes que lui. Ce jeu a réussi, mais il est dangereux. Je ne vous conseillerai pas davantage d’obéir sans mûre réflexion à l’insinuation de Jonathan Swift : «… Que votre premier essai soit un coup d’éclat dans le genre du libelle, du pamphlet ou de la satire. Jetez-moi bas une vingtaine de réputations et la vôtre grandira infailliblement… » Sans doute, si le coup est vraiment un « coup d’éclat », mais qui oserait en répondre ? Démolir vingt réputations, surtout si elles ont été conquises bravement et loyalement, c’est là pour un jeune écrivain un bonheur trop rare pour qu’une telle tentative ne comporte pas des risques graves, et vous savez que je suis inflexible sur la question des risques. On acquiert bien des amis par vingt déboulonnements exécutés avec soin, mais que de haines ! Et si le bronze résiste, si sa chute