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confrères, tous les hommes de lettres en général, les calomnies les plus turpides et les anecdotes les plus honteuses. Tâchez de les atteindre dans leurs œuvres, dans leur famille, dans leur santé ; insinuez le plagiat, le bagne, la syphilis ; vous passerez pour un homme bien renseigné, spirituel, un peu mauvaise langue, et votre compagnie sera recherchée par les journalistes, — ce qui est toujours bon, car la célébrité, comme le tonnerre, est faite de petit échos multipliés qui ricochent et redondent les uns sur les autres.

Mais, et voici ce qui donne à ce conseil, assez banal, une véritable valeur : soit que vous parliez à ces mêmes confrères que vous avez si ingénieusement salis par d’adroites paroles, soit que vous leur écriviez, changez de ton, faites volter votre cheval tête en queue, virez lof pour lof, et donnez le change avec tant de candeur que votre mauvaise foi ne puisse être un instant soupçonnée. Cela est important. Le poète qui tiendra, signée de votre main, une lettre où, vaincu par l’évidence, vous confessez son doux génie, refusera toujours de croire aux vilains propos que ses amis vous attribuent ; s’ils insistent, il les tiendra pour des menteurs et des envieux, se brouillera avec eux peut-être, et vous aurez toute liberté pour achever un travail