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du style devait commencer par une critique de la vision intérieure, par un essai sur la formation des images. Il y a bien deux chapitres sur les images dans le livre de M. Albalat, mais tout à la fin ; et ainsi le mécanisme du langage est démontré à rebours, puisque le premier pas est l’image et le dernier l’abstraction. Une bonne analyse des procédés naturels du style commencerait à la sensation pour aboutir à l’idée pure, — si pure qu’elle ne correspond à rien, non seulement de réel, mais de figuratif.

S’il y avait un art d’écrire, ce serait l’art même de sentir, l’art de voir, l’art d’entendre, l’art d’user de tous les sens, soit réellement, soit imaginativement ; et la pratique grave et neuve d’une théorie du style serait celle où l’on essaierait de montrer comment se pénètrent ces deux mondes séparés, le monde des sensations et le monde des mots. Il y a là un grand mystère, puisque ces deux mondes sont infiniment loin l’un de l’autre, c’est-à-dire parallèles : il faut y voir peut-être une sorte de télégraphie sans fils : on constate que les aiguilles des deux cadrans se commandent mutuellement, et c’est tout. Mais cette dépendance mutuelle est loin d’être parfaite et aussi claire dans la réalité que dans une comparaison mécanique : en somme, les mots et les