Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/219

Cette page n’a pas encore été corrigée

raisonnements qui agréaient à notre logique, appliqués au corps humain, nous allons les répéter avec innocence sur un être fictif et qui, en tant que matière à dissection psychologique, ne peut être sérieusement comparé à rien. Un homme est un homme, un pays est un pays. Si on n’en revient pas là après quelques figures, on n’a fait qu’une excursion ridicule dans la mauvaise littérature[1].

Cependant si on analyse ces mots, pays, nation, société, peuple, et d’autres, d’inégale imprécision, on y trouve toujours pour élément essentiel l’homme ; c’est cet élément, qui a son importance, que les sociologues s’appliquent à méconnaître. Satisfaits du Gargantua qu’ils ont laborieusement créé, ils font tenir tous les hommes dans les poches de sa houppelande, et le monstre les dévore un à un, comme fait des boeufs, des moutons et des moines le père de Pantagruel, selon les images de Gustave Doré. L’homme n’est rien, c’est vrai ; et il est tout,

  1. La comparaison de l’organisme social au corps humain, c’est encore du Platon. Il résume son invention en cette phrase de la République, V : « Nous sommes convenus de ce qui était le plus grand bien de la société, et nous avons comparé en ce point une république bien gouvernée au corps, dont tous les membres ressentent en commun le plaisir et la douleur d’un seul membre ».