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qui n’inventa aucun des siens. L’invention des sujets est d’ailleurs limitée, encore que flexible à l’infini ; mais, autre siècle, autre histoire. M. Aicard, s’il avait du génie, n’eût pas traduit Othello, il l’eût refait, comme l’ingénu Racine refaisait les tragédies d’Euripide. Tout aurait été dit dans les cent premières années des littératures si l’homme n’avait le style pour se varier lui-même. Je veux bien qu’il y ait trente-six situations dramatiques ou romanesques, mais une théorie plus générale n’en peut, en somme, reconnaître que quatre. L’homme étant pris pour centre, il a des rapports : avec lui-même, avec les autres hommes, avec l’autre sexe, avec l’infini, Dieu ou Nature. Une œuvre de littérature rentre nécessairement dans un de ces quatre modes. Mais n’y aurait-il au monde qu’un seul et unique thème, et que cela fût Daphnis et Chloé, il suffirait.

Une des excuses des écrivains qui ne savent pas écrire est la diversité des genres. Ils croient qu’à celui-ci convient le style et à celui-là, rien. Il ne faut pas, disent-ils, écrire un roman du même ton qu’un poème. Sans doute ; mais l’absence de style fait aussi l’absence de ton et quand un livre manque d’écriture, il manque de tout : il est invisible ou, comme on dit, il passe inaper-