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des hommes est nécessairement nulle ; il faut que, tombée de haut, elle rejaillisse en cascade, de pierre en pierre, pour enfin couler dans la vallée à la portée de tous les hommes et de tous les troupeaux.

Si donc on entreprenait une étude décisive sur Stéphane Mallarmé, il ne faudrait traiter la question d’obscurité qu’au seul point de vue psychologique, parce qu’il n’y a jamais d’absolue obscurité littérale dans un écrit de bonne foi. Une interprétation sensée est toujours possible ; elle changera selon les soirs, peut-être, comme change, selon les nuages, la nuance des gazons, mais la vérité, ici et partout, sera ce que la voudra notre sentiment d’une heure. L’oeuvre de Mallarmé est le plus merveilleux prétexte à rêveries qui ait encore été offert aux hommes fatigués de tant d’affirmations lourdes et inutiles : une poésie pleine de doutes, de nuances changeantes et de parfums ambigus, c’est peut-être la seule où nous puissions désormais nous plaire ; et si le mot décadence résumait vraiment tous ces charmes d’automne et de crépuscule, on pourrait l’accueillir et en faire même une des clefs de la viole : mais il est mort, le maître est mort, la pénultième est morte.

1898.