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que où les générations vinrent boire et prier et délayer leur encre. Boileau, avant de mourir, put se voir dieu. Dès que Voltaire sait lire, il lit Boileau. Le principe de l’imitation va régir désormais la littérature française.

Si l’on néglige les accidents — quoique mémorables — ce principe est demeuré très puissant et si bien compris, à mesure que l’instruction se répand, qu’il suffit à un critique de le faire intervenir pour qu’un lecteur honteux rejette l’œuvre nouvelle qui le rafraîchissait. Ainsi les feuilletonnistes ont réussi à empêcher l’acclimatation en France de l’œuvre d’Ibsen ; ainsi les drames en vers, œuvre d’imitation par excellence, réussissent maintenant jusque sur les théâtres du boulevard ! Ces faits de théâtre, toujours très grossis par la réclame, illustrent bien une théorie.

L’idée d’imitation est donc devenue l’idée même d’art ou de littérature. On ne conçoit pas plus un roman nouveau qui ne soit la contre-partie ou la suite d’un roman préexistant que l’on ne conçoit des vers sans rime ou dont les syllabes ne seraient pas comptées une à une avec scrupule. Quand de telles innovations cependant se produisirent, altérant tout à coup l’aspect coutumier du paysage littéraire, il y eut de l’émoi parmi les experts ; pour cacher leur gêne, ils se