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à Tolstoï et à Ibsen, ayant fait une allusion à leur gloire, il ajoute (en note) : « Sont-ce là des gloires bien établies, celle d’Ibsen surtout ? La question de savoir si l’auteur des Revenants est un mystificateur ou un génie n’est pas résolue à l’heure où nous sommes[1] ». Telle est, en face de l’inédit, du non encore vu ni lu, l’attitude d’un écrivain qui, dans le livre même d’où cette note est tirée, prouve une bonne indépendance de jugement ; il est inutile d’ajouter que les « décadents » y sont, à tout propos, moqués. Comment, après cela, s’étonner de la lourde raillerie de tels moindres esprits ? Une manière nouvelle de dire les éternelles vérités humaines est d’abord pour les hommes, et surtout pour les hommes trop instruits, un scandale. Ils ressentent une sorte d’effroi ; pour reprendre leur assurance, ils ont recours à la négation, aux injures ou à la dérision. C’est l’attitude naturelle de l’animal humain devant le danger physique. Mais comment en est-on arrivé à considérer comme un péril toute réelle innovation en art ou en littérature ? Pourquoi surtout cette assimilation est-elle une des maladies particulières à notre temps, et peut-être la plus grave, puisqu’elle tend

  1. M. Stapfer, Des Réputations littéraires. Paris, 1891.