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il n’y a pas d’idée générale de liberté, et il est difficile qu’il s’en forme une, puisque la liberté d’un individu ne s’exerce qu’aux dépens de la liberté d’autrui. Jadis, la liberté s’appelait le privilège ; à tout prendre, c’est peut-être son véritable nom ; encore aujourd’hui, une de nos libertés relatives, la liberté de la presse, est un ensemble de privilèges ; privilèges aussi la liberté de la parole concédée aux avocats ; privilèges, la liberté syndicale, et demain, la liberté d’association telle qu’on nous la propose. L’idée de liberté n’est peut-être qu’une déformation emphatique de l’idée de privilège. Les Latins, qui firent un grand usage du mot liberté, l’entendaient tel que le privilège du citoyen romain.

On voit qu’il y a souvent un écart énorme entre le sens vulgaire d’un mot et la signification réelle qu’il a au fond des obscures consciences verbales, soit parce que plusieurs idées associées sont exprimées par un seul mot, soit parce que l’idée primitive a disparu sous l’envahissement d’une idée secondaire. On peut donc écrire, surtout s’il s’agit de généralités, des suites de phrases ayant à la fois un sens ouvert et un sens secret. Les mots, qui sont des signes, sont presque toujours aussi des chiffres ; le langage conventionnel inconscient est fort usité,