Page:Gourmont - L’Idéalisme, 1893.djvu/54

Cette page n’a pas encore été corrigée

ou mille-fleurs, zèbre ou zain, le front étoilé ou listé, peint de tigrures ou de balzanes, de marbrures ou de neigeures, — le mot est le dada qu’enfourche la pensée.

Mais ce n’est pas pour cela que j’aime les mots : je les aime en eux-mêmes, pour leur esthétique personnelle, dont la rareté est un des éléments ; la sonorité en est un autre. Le mot a encore une forme déterminée par les consonnes ; un parfum, mais difficilement perçu, vu l’infirmité de nos sens imaginatifs.

Si complexe que soit l’impression que donne un mot, elle est subie néanmoins en bloc, et il en est des vains vocables comme des vaines femmes, ils plaisent ou déplaisent : le pourquoi ne se trouve qu’au retour à l’état d’indifférence.

Des mots exquis peuvent signifier des choses laides et sales, ce qui prouve bien que leur charme est indépendant du sens que le hasard et l’articulation leur ont départis. Amaurose : cela ne semble-t-il pas, tout d’abord, un mot d’amour ? Et quel poëte, en même temps que les lau-