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— On te regrette, émit le Président de la table, Emmanuel Lottin, cela me fera de la peine, je t’assure de ne plus te voir en face de moi.

Tancrède sourit :

— Qui sait, tout le long du chemin où nous marchons, on pourra se retrouver, partager encore la même ration. Après le collège, le régiment.

Onda ne soufflait mot, comme son ami, il ne parvenait pas à manger. Souvent il essayait de dissimuler une grosse larme, impossible à contenir. Aussitôt le repas achevé, il se leva, suivit Tancrède dans la cour. Doucement, il lui prit le bras :

— Tancrède, fais-moi un grand plaisir.

— Oh ! de tout mon cœur.

— Bon. Ce que je vais te demander est donc accepté. Tout à l’heure, l’auto va venir me chercher, viens avec moi chez nous.

— C’est impossible, mon ami, je suis bien reconnaissant, mais...

— Quoi ? jette hors de toi la pensée que je devine... sois simple comme je le suis. Tu as toujours été bon pour moi, reste-le jusqu’au bout. Si tu savais comme Maman sera contente de te recevoir. Elle sait ce que tu es pour moi, le seul ami ! Le seul, qu’après mes parents, j’aime ! Viens, Papa aussi et ma sœur Marie, auront une vraie joie de te voir.

Onda serrait le bras de son camarade contre lui, sa voix s’enrouait de larmes, tout son cœur vibrait d’affection sincère.

— Comme tu es parfait ! Mais l’on m’ignore chez toi, je n’ai jamais été présenté...

— Ah ! je parle de toi tous les jours. Tu verras si on ne te connaît pas.

Ne me fais pas la peine de refuser, Tancrède, c’est si naturel que tu restes pour ton dernier jour à Paris sous le toit d’un ami. Tu reviendras ici demain .chercher ton billet de chemin de fer, dis : Oui, c’est entendu.

Tancrède demeurait perplexe, attendri. Sa mère l’approuverait-elle ? Aller chez des inconnus... mais son camarade était si vraiment affectueux, pourquoi le désobliger ? Après l’humiliation qu’il venait de subir, le pauvre enfant avait grand besoin de réconfort et il en trouvait là, près de cet autre enfant qui l’aimait. Qu’importaient toutes les différences de castes, d’échelons sociaux, de préjugés mondains. Souvent, malgré son titre de comte authentique — sa famille remontant au-delà des Croisades — il avait souffert de son manque de fortune. Il ne sortait pas aux petites vacances semées tout le long de l’année à cause de la dépense d’un voyage, sa mère ne