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le nouveau, une amitié sincère. Les camarades les avaient surnommés le chevalier et son page, mais nul n’osait se moquer d’eux en face. Tancrède à plusieurs reprises, avait montré ses poings et surtout un cœur solide, il avait le sentiment du vrai chevalier de race, protecteur des faibles, capable de se faire respecter et craindre.

Aujourd’hui Onda était triste parce que Tancrède allait le quitter, parce que Tancrède, héroïquement faisait face à la douleur. Il livrait à l’assaut d’une enchère ses livres d’étude, il se séparait de ses chers volumes tant feuilletés, tant appris, très pâle, mais brave devant la nécessité.

Les élèves, la plupart au moins de la classe aimaient Tancrède, ils devinaient une cruelle obligation sous le geste du jeune homme, aucun ne profitait de l’aubaine, le petit lot se dispersa presqu’à sa valeur. Quand le dernier livre passa de la main du vendeur dans celle de l’acheteur, le premier dit :

— Adieu, mes bons amis, je ne reviendrai plus ici, mais je me rappellerai de vous, si la vie nous rapproche, j’en serai content.

— Laisse ton adresse, fit Bertrand de Changé, tu feras toujours partie de « l’amicale des anciens élèves du Lycée Pascal ».

— Oui, de tout mon cœur, adieu…

Il se retourna. Si forte que fut sa volonté, le pauvre enfant sentait venir une montée de larmes qu’il voulait cacher, la cloche du dîner sonnait. Onda vint lui prendre le bras.

— Écoute, vieux, tout le monde va partir ce soir ou demain matin. Et toi ?

— Moi ! je ne peux prendre le train qu’après-demain, parce que… le Proviseur me donnera un billet de faveur. Et pourtant ce que je voudrais ne pas coucher ici ! ni manger… à présent, puisque je suis congédié.

Sa fierté se révoltait. Etre là par charité ! Non, il s’en irait ce soir seul, n’importe où. Puisqu’il avait un peu d’argent, grâce au prix de ses livres.

Au réfectoire, il s’assit à sa place habituelle. On permettait de parler à ce dernier repas avant la séparation des vacances. Ils étaient par tables de douze joyeux garçons qui racontaient leurs projets pour l’heureux temps de Pâques. À toutes les tables on entendait des rires. Tancrède qui ne pouvait venir à bout de manger, la gorge sèche, serrée, buvait de l’eau en abondance, silencieux.

— Coin… coin… fit Michon, celui qui avait reçu la balle dans le nez et en gardait rancune, tu joues au canard, Tancrède.

— Juste. La migration est finie. Je retourne au vieux nid.