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— Nullement. Du moins je l’espère, car je n’ai reçu aucune lettre d’elle, et vous ?

— J’ai eu une carte postale, il y a huit jours.

— Ecoutez, mon enfant, j’ai à vous dire une chose pénible... ne vous froissez en rien. En vérité il n’y a pas de votre faute, vous êtes un bon élève, mais je ne peux pas vous garder au Lycée.

Le jeune homme se dressa inquiet :

— Pourquoi, Monsieur, j’aime le collège, mes maîtres et mes camarades.

— Ils vous le rendent Tancrède. Si je me vois forcé de me séparer de vous, c’est pour une raison purement administrative, je dois me conformer au règlement imposé par l’Etat.

— Expliquez-vous, Monsieur, je le préfère, je suis un homme, en quoi ai-je démérité en face de l’Etat ?

— En n’étant pas riche, mon pauvre petit, votre mère a négligé de payer les derniers trimestres.

— C’est qu’elle ne l’a pas pu, Monsieur.

Tancrède maintenant était pâle, ses lèvres tremblaient, malgré ses efforts des larmes venaient à ses yeux.

— Oh ! je le sais, la Comtesse de Luçon est la plus digne et la plus méritante des femmes. Si elle ne possède pas la fortune elle n’en est pas moins estimable, croyez bien que je suis désolé de la mission que je dois remplir vis à vis de vous.

Tancrède releva le front, d’un fier courage, il parvint à répondre :

— Je partirai demain, Monsieur, pour ne plus revenir, je vous suis reconnaissant de votre sympathie. J’aurais dû, depuis longtemps quitter le Lycée où vous m’avez gardé par… charité.

— Il n’y a aucune humiliation à n’être pas riche, tout le monde voudrait l’être.

— Un Luçon peut gagner son pain, Monsieur, et je le gagnerai, je m’acquitterai envers vous, soyez-en sûr, un jour…

Le Proviseur tendit la main, il était ému, il dit presque bas.

— Avez-vous un peu d’argent pour le voyage ? Je vais demander à la compagnie de l’Etat un billet de faveur.

— A quel titre, Monsieur ?

— De rapatrié. Les chemins de fer en donnent aux…

— Indigents. Vous pouvez le dire, Monsieur, je vous remercie, je suis forcé d’accepter, mais je saurai me souvenir.

Le collégien serra la main du chef et sortit dignement. Au lieu de retourner à l’étude, il monta au vestiaire. Son linge, ses vêtements étaient pliés dans la case à son