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huit ans. Et elle les aimait, elle avait vu naître Tancrède. Maintenant elle était mariée avec un gabier qui, son service terminé, s’était installé cafetier-restaurateur près de la porte de Dinan, à l’enseigne : « Les trente Chevaliers ». Les affaires prospéraient, la brave cuisinière était réputée comme « cordon bleu » et même les étrangers riches, venaient commander chez elle de bons petits « gueuletons » disait son mari l’honnête Marsoin, nom ou surnom, tout le monde l’appelait ainsi.

Elle avait connu tous les soucis de la comtesse de Luçon, elle l’avait aidée à soigner son mari avec un dévouement inlassable et quand elle l’avait quittée en pleurant, elle lui avait fait promettre de toujours compter sur elle le cas échéant. Aussi Noëlle de Luçon n’avait pas hésité à accepter le refuge offert à sa détresse par l’excellente Bretonne.

Quand elle vit arriver Tancrède chargé de sa malle qu’il portait gaillardement sur l’épaule, elle s’écria :

— C’est pas Dieu possible ! on dirait mon petit Tancrède.

— Lui-même Yanik, riposta le garçon en posant son fardeau à terre pour embrasser la brave femme.

— Oh ! tu as, c’est-à-dire vous avez grandi, Monsieur le Comte.

— Oui j’ai grandi, mais je suis resté ton petit Tancrède et je te demande de ne rien changer aux vieilles habitudes, ma bonne, je croirais que tu ne m’aimes plus autant.

Elle sourit, sa bonne figure rouge s’éclairait de bonheur. Elle regardait du haut en bas le beau garçon grand, bien découplé, taillé en force et en grâce, avec ses larges yeux bruns limpides et tendres fixés sur elle.

— Alors t’as porté le baluchon depuis la gare !

— Un jeu. Dis-moi où il faut le mettre ?

— En haut. J'ai arrangé une chambre pour Madame la Comtesse, c’est pas bien luxueux, y a ce qu’il faut quand même. Holà ! Marsoin, accours.

Un homme, en tricot bleu de matelot, se montra aussitôt. Comme il n’avait aucun couvre-chef, il prit à poignée ses courtes boucles rousses et les tira en guise de salut. Le jeune homme lui tendit la main.

— Bonjour matelot !

— Monsieur Tancrède ! ben content de vous voir, oui donc, chez nous.

— Prends la malle Marsoin, ordonna Yanik, et mets-la dans la chambre de Mme la Comtesse.

— On y va, dit le marin qui souleva sans peine le mince bagage et monta lestement l’escalier de bois dont les marches craquaient.

— Pardon, excuse, fit la Bretonne si je reste à la boutique, c’est rapport aux clients.