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l’avaient remis d’aplomb. Maintenant le plaisir était fini, il allait rentrer au milieu des difficultés déjà connues, aggravées encore. C’était à lui désormais de soutenir sa mère, d’assumer la charge de protecteur, de travailler pour leurs lendemains. A quoi ? Il était robuste, intelligent, sérieux, mais son rêve d’avenir était brisé. Au lieu de la brillante école de Saint-Cyr où il aspirait, à présent sans aucun brevet, que ferait-il ? Les brevets mènent aux carrières productives à longue échéance, tandis qu’il lui fallait gagner de l’argent immédiatement. Au dîner de la veille, on parlait de gains effarants... seulement pour les réaliser, il fallait une première mise de fonds. Il se rappelait l’histoire d’Athos Achillopoulo qui, parti à seize ans, avec mille francs avait gagné un million en dix ans. Cela se peut... quand on est d’une certaine race ou doué d’une chance inouïe. Le garçon tout en suivant les exercices pieux, pensait ces choses. Il était devant l’autel, une bonne inspiration lui viendrait. Il écoutait la voix intérieure au langage mystérieux, aucune solution n’en venait. « Laisse-toi conduire. Dieu te mène, prie, aucune prière n’est perdue. »

Il quitta le temple, les rues s’animaient, des groupes à bicyclettes mentaient vers le Bois, le ciel était clément. Des petites voitures emplies de primevères, de giroflées, d’anémones, de violettes venaient jetant leur arôme au passant. Tancrède, lentement, suivait le faubourg Saint-Honoré, les confiseries alléchantes montraient leurs œufs de pâques en chocolat, en sucre, en porcelaine. Il aurait aimé en apporter un à son ami, mais il avait si peu d’argent ! La vente de ses livres ne garnissait guère sa bourse, il aurait quelques frais de voyage et... à l’arrivée... rien. Il soupira :

— Ah ! être riche, laisser son cœur céder au plaisir de donner, pouvoir payer largement un service, récompenser les serviteurs qui vous aident, ne pas voir toutes ses joies gâtées par le calcul, n’être pas ridicule à force d’être économe. Il venait de goûter aux faveurs de la fortune, il en avait joui, à présent c’était le revers de la médaille dorée. L’adieu fut ému. M. et Mme Consouloudi assurèrent Tancrède de leur amitié.

— Revenez quand vous pourrez, mon enfant, la maison vous est toujours ouverte, dit le banquier, et assurez Madame votre mère de mon respectueux dévouement.

Onda alla conduire Tancrède à la gare, il lui remit une sacoche emplie de journaux et de provisions. Puis les deux enfants s’embrassèrent sans pouvoir parler. Chacun d’eux retenait ses larmes.

Parti à vingt-et-une heure cinquante de Paris, le jeune voyageur arrivait à Saint-Malo à sept heures vingt le len-