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avec son mari du sujet brûlant qui emplissait son âme, le lendemain il partit de bonne heure, selon son habitude, pour la banque et elle n’eut d’autre idée que de retourner à la Madeleine. C’était comme un invincible aimant qui l’attirait. Il était onze heures, les messes du matin étaient finies, elle était presque seule au temple. Elle arpentait la nef, examinant les chapelles, celles de la Sainte Vierge et du Sacré-Cœur la retinrent. Elle éprouvait un grand désir de prier, mais comment ? L’autel dominé par la statue de Sainte Amélie, l’arrêta aussi. Machinalement elle se mit à chercher une place et puis tomba à genoux répétant le geste accompli la veille : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mais sans prononcer les paroles qu’elle ignorait. Et puis elle ferma les yeux pour mieux s’absorber en elle-même.

— J’ai vu tout cela... était-ce en rêve ? était-ce un dédoublement de moi comme disent les occultistes ? Est-ce que ma mère, mon père, mes « Miens... » O mon Dieu ! Elle disait « Mon Dieu » le cri instinctif de tous les malheureux, sans en comprendre la portée. Des larmes encore filtraient sous les paupières. Ce peu qu’elle savait de son passé était pourtant une lueur, bien faible hélas ! A quel âge un enfant peut-il se rappeler ? A quel moment prend-ii conscience des choses ? pour qu’un tableau se grave en sa mémoire ?

Eléna perçut derrière elle un petit cri, elle se retourna curieuse : Un prêtre baptisait un bébé, elle s’approcha... Le parrain disait : « Je crois en Dieu... »

Elle écouta tout le Credo. L’abbé qui donnait un nouveau né le Sacrement, était justement celui rencontré la veille, il la reconnut, songea :

— Voici une âme en peine, obsédée, Seigneur Jésus, délivrez-la.

Et quand il eut achevé son office, il revint pour trouver l’inconnue, mais elle était partie, armée d’une grande résolution. Aujourd’hui même, je me confierai à mon mari. Je n’ai pas assez interrogé mon beau-père sur le mystère de mon enfance. Il faut que je sache davantage, devrais-je retourner en Grèce. J’irais au village saccagé où je fus trouvée, peut-être reste-il encore un contemporain du massacre ? Quelle est ma race ? Mon père adoptif me croyait arménienne, fille de proscrits qui fuyaient les horreurs commises, par les mahométants. Le suis-je ? Oh ! savoir d’où je viens ? Comment le cœur qui bat si fort en moi, ne peut-il répondre ? J’éprouve un tel désarroi... Mais à quoi bon tant m’inquiéter ? En quoi est-il utile que je connaisse le secret de ma vie... L’être humain est jeté sur terre par un créateur... comme l’animal. Pourquoi ai-je cette pensée si troublante ? alors que je puis si bien être