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fils Aristide, âgé de onze ans, s’intéressèrent vivement à cette abandonnée. Nous pansâmes sa coupure, heureusement peu grave, mais dont il s’était échappé assez de sang pour amener une syncope. La petite avait dû être prise dans son lit, car elle n’était vêtue que d’une chemise de toile très fine et dont la marque brodée portait, je crois, une couronne. Elle pouvait avoir deux ans, peut-être plus. Elle parlait le langage de je ne sais quel idiome incompréhensible.

— Oh ! père c’était moi.

— C’était toi ! Nous te nommâmes Elena et tu fus notre fille. Nous t’avons élevée dans le culte de la raison pure et de la vérité.

— N’avez-vous pas recherché d’où je pouvais venir ?

— Je l’ai cherché et à force de démarches, j’ai fini par apprendre que la révolte des indigènes avait amené le massacre des étrangers. J’ai fait mieux, je suis allé au sinistre village où les crimes ont été commis. Toutes les familles étaient disparues, c’était un désert de ruines. Femmes et enfants avaient succombé. J’ai pensé que ton sauveteur en fuyant avait dû te prendre dans une maison détruite où tes parents étaient morts. Mais je ne pus avoir aucune certitude. Quelque soit ton père, mon enfant, il n’existe plus, j’ai été celui qui le remplace. Je te donne pour femme à mon fils. Nous allons vous marier. Je vois ici ma récompense.

Tel était le mystère qui planait sur Elena, sa vie en demeurait assombrie. Son mari n’avait jamais cessé d’être bon pour elle, il l’aimait, l’entourait des biens de la fortune. Elle eut un fils : Platon qui possédait les qualités géniales de son père pour les affaires et continua d’accroître la richesse après la mort de celui-ci. Il épousa une de ses compatriotes Eurydice Romanos. Cette dernière eut deux enfants : Marie et Epaminondas. Ce dernier était le portrait physique et moral de l’aïeule.

Il est facile de comprendre ce qui devait se passer dans le cœur d’Eléna quand elle remontait à son origine. Elle avait voyagé dans toute l’Europe, elle s’était comparée à tous les types des diverses contrées et elle avait fini par être sûre d’appartenir à la race française. Parfois un éclair traversait son cerveau à l’audition d’un mot, à la vue d’une maison, d’un arbre, d’un monument et aussitôt qu’elle voulait l’atteindre, saisir ce fil conducteur, la lueur fugitive s’éteignait. Souvent seule, pendant que son mari s’occupait des affaires, elle s’en allait errant dans Paris, toujours en observations. Une fois, c’était après la naissance de Platon, Aristide venait d’acheter le bel hôtel de l’avenue Gabriel. Eléna était sortie sur les Champs-Elysées, elle s’était assise non loin des chevaux de bois.