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mais une âme qui avait souffert, ses yeux tendres avaient dû beaucoup pleurer, cette vie brillante, où la fortune mettait tous les bonheurs qu’acquièrent l’argent, et ils sont nombreux, cachait une peine intense, constante, sans éclaircissements.

Sur elle planait un mystère insondable, qu’était-elle ? d’où venait-elle ? Au fond de sa conscience, des souvenirs embrouillés, confus, voilaient ses débuts dans la vie… et elle cherchait sans cesse à deviner, trouver, mettre une lueur sur l’infini mystérieux de sa conscience.

Du plus loin qu’elle se souvienne, c’est une maison au fond d’un chemin de sable, sur lequel ouvre un jardin où mûrissent des abricots, où on cueille aussi des olives et beaucoup de fleurs. On parlait d’une langue qu’elle sut depuis être le grec ancien. Ceux qu’elle nommait papa et maman et qui la traitaient aussi affectueusement que leur fils Aristide, sont bons mais rigides. On ne lui apprends aucune prière, on ne la conduit dans aucun temple. Son compagnon de jeux, plus âgé qu’elle, est gai, attentif, ils montent à âne, ils vont aux fontaines, ils tressent des corbeilles pour mettre les olives.

Un jour, elle est déjà une jeune fille, son père vint la trouver au bord du puits, il la regarde avec complaisance et lui dit : « Ma fille, tu as quinze ans, il est temps de te marier. Aristide t’aime, il va partir pour la France où les nécessités de notre commerce l’appelle. Je préfère qu’il ne parte pas seul. Tu l’aimes n’est-ce pas ?

— Oui, père, ne sommes-nous pas frère et sœur ?

— Non, mon enfant, je vais te révéler une chose que je ne t’ai jamais laissé soupçonner, parce que je trouvais inutile d’inquiéter ta jeunesse. À présent que l’avenir se dessine et que tu auras dans ton mari une affection protectrice, ce que je vais te confier ne pourra plus te troubler. Ecoute-moi : Tu as appris à l’école l’histoire, tu sais que des combats, des crimes, des massacres ont à plusieurs reprises décimé les peuples. Tu connais la tyrannie des Turcs et nos révoltes sanglantes. Après ces tempêtes, un parti opposé à l’ordre a massacré tout un village des montagnes isolées. Or, je marchais par une soirée très douce, seul au bord de la mer. Mon attention fut attirée par une épave. Je découvrais sur le dos d’une lame un homme qui élevait un paquet pour le préserver du danger. Je me jetai à l’eau, je saisis l’épave et soutint le naufragé que je pus ramener à la côte. C’était un malheureux à bout de forces. Il ne put même pas parler et expira sous mes yeux. Je défis le paquet, il contenait une petite fille enveloppée de châles, elle avait une blessure au front, du sang sur ses vêtements, elle ne donnait plus signe de vie. Emu de pitié, je l’emportai chez moi. Ma femme, mon