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III

LA GRAND’MÈRE


Mme Elena Consouloudi, installée dans son petit salon dont la baie grande ouverte par ce beau jour d’avril, laissait entrer le parfum des jacinthes en fleurs dont un massif panaché de rouge, bleu, mauve, blanc, envoyait le délicieux arôme. Au-delà du massif, une pelouse, puis le lac d’Enghien, où nageaient des cygnes et des canards. La vieille dame, bien qu’elle fut toute blanche de cheveux, était encore svelte, à peine ridée, ses superbes yeux bleus foncés, lisaient sans lunettes le journal que tenaient ses mains maigres et fines. Près d’elle, une chatte jaune et noire dormait en rond sur un fauteuil. Simplement vêtue d’une robe de fine laine blanche, avec au doigt son alliance sous une seule bague où étincelait un saphir de la même couleur que ses yeux, elle représentait la richissime veuve d’Aristide Consouloudi.

La feuille qu’elle lisait portait ce titre : « La Croix ». Sur une console se voyaient deux livres : La Semaine Sainte et le dernier roman populaire édité par la Bonne Presse : « Vers la Zone Inconnue ».

Sur la cheminée, où un feu de bois combattait l’humidité du lac, il y avait une ravissante miniature qui représentait un enfant d’une dizaine d’années, aux traits fins, aux lèvres souriantes, aux prunelles d’azur surmontées de boucles blondes. Au dos du portrait, on pouvait lire : Epaminondas Consouloudi, à dix ans. En face, dans un autre cadre, une photographie montrait le visage énergique, le front intelligent d’un homme d’une cinquantaine d’années. C’était le banquier Aristide Consouloudi, aujourd’hui décédé. Au mur, deux tableaux seulement, mais peints par un artiste d’un rare talent, c’étaient : La Bénédiction de la mer en Bretagne par Le Sidaner et une copie d’une admirable Vierge à la chaise de Raphaël. Un corbeille posée sur un guéridon, près de la vieille dame, contenait un ensemble bien hétéroclite, mais il racontait les occupations de celle qui la gardait à sa portée, et vraisemblablement y cherchait souvent. En-dessus on voyait une pelotte de laine piquée d’aiguilles à tricoter. Au fond, un carnet dont les pages marquaient les charités du mois et elles étaient nombreuses, édifiantes, étranges aussi pour la veuve et la mère de libres-penseurs. On lisait : Œuvre des Missions catholiques, Écoles libres catholiques, Propagation de la Foi et une série d’adresses de pauvres gens.

Madame Aristide Consouloudi avait le cœur généreux. Son visage encore joli, très doux, reflétait une belle âme,