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LE SECRET DU FORÇAT £

— Ce que cela me fait ! Mais c’est la montre de mon père lâchement Assassiné aux rives du Lekos, il y a treize ans. L’homme s’était levé, il arrachait violemment le bijou des mains de Renaud :

— Monsieur, il me semble que vous m’insultez !

— Je veux .savoir où vous avez pris cette montre, disait l’aspirant tremblant d’émotion.

Que de fois, dans son enfance, son père lui avait fait sonner les heures et les quarts contre son oreille. Il lui avait appris à les lire sur ce cadran unique, or et azur, avec la petite trotteuse des secondes en argent. L’inconnu jetait sur la table la monnaie due pour sa consommation et, se ’faufilant entre les groupes, s’enfuyait, mais le marin bondit à sa suite.

— Renaud, intervint Legoualec en saisissant le bras de son ami, tu n’as pas une minute à perdre, voici le canot, tu ne peux pas manquer l’embarquement.

Celui-ci, d’un geste brusque, se débarrassait de l’emprise et, sans rien entendre, bousculant les buveurs, s’élançait à la poursuite de l’étranger qui, éperdu, courait, essayant de disparaître au milieu de la foule. Mais Renaud, leste, animé d’une colère qui décuplait ses forces, ne le perdait pas de vue, tandis que ses camarades, consternés, quittaient le café pour se rendre à la vedette dont ils entendaient le sifflet. Le fuyard s’était jeté dans une rue, tournait dans une autre, il finit par «escalader la clôture d’un chantier désert et tomba épuisé contre, des tas de matériaux. Renaud l’avait suivi, haletant, il sauta à son tour, mais l’autre le guettait ; relevé soudain, il lançait une énorme pierre que le jeune Jhomme esquiva d’un saut de côté. Alors il se rua sur l’agresseur, le poussa si rudement contre un tas de moellons que deux gros blocs en équilibre, tombant du sommet, l’assommaient. Le jeune homme, à peine effleuré, mais à bout de souffle, s’écroulait évanoui près de son ennemi. Des gens, surpris de cette course folle, arrivaient au chantier. On releva l’étranger le crâne ouvert et le marin blessé. Quand celui-ci reprit ses sens, des mots sans suite sortaient de ses lèvres, il n’avait qu’une idée : la montre ! retrouver l’assassin de son père ! On le transporta au commissariat de police, puis il passa en cours d’assises inculpé de désertion et de meurtre. Il fut condamné, avec circonstances atténuantes, à dix ans de travaux forcés. Sa première croisière fut d’aller à Nouméa... Sa mère vint l’y rejoindre ; elle s’installa en ville afin d’alléger par sa présence un peu de la peine de son malheureux fils. Et le temps passa.

CHAPITRE PREMIER

La villa des Alliés.

La villa des Alliés, sur l’Allier, est le plus agréable des séjours pour les étrangers qui viennent en villégiature à Vichy afin d’y soigner les nombreuses misères que les eaux bienfaisantes doivent guérir. La maison est tenue par M. et Mme Marmont et leurs six filles qui s’échelonnent de vingt-cinq à quatorze ans et qui sont pour leurs parents des aides intelligentes et actives.

M. Nectaire Marmont a fait la guerre en qualité de capitaine de réserve, Mme Marmont s’est dévouée aux ambulances. Le couple est décoré de la croix de guerre. L’administration commerciale de la villa s’organise ainsi.