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LE SECRET DU FORÇAT

goûts innés de l’enfant, n’avait pas osé les contrarier, mais elle souffrait cruellement ce jour où il entreprenait sa première croisière au long-cours, sous les ordres de l’amiral Dartigue, à bord du Saint-Louis. Renaud s’en allait lentement, hors la gare, la tête courbée, vers le port d’embarquement ; le vaisseau, au sommet duquel’flottaient nos couleurs, se balançait en rade, la vedette destinée à embarquer les officiers de l’équipage était déjà rendue à quai. Un camarade, Yves Legoualec, vint au-devant du jeune homme, le prit par le bras :

— Allons, viens vite, on n’attend plus que toi pour le coup du départ» Ils allèrent s’asseoir à la terrasse d’un café, devant une table entourée déjà d’enseignes et d’aspirants de marine. Les physionomies étaient rieuses, tous paraissaient radieux d’embarquer. Ils avaient réalisé leurs espérances, ils entraient dans la belle carrière choisie, aimée, gagnée par leur travail.

— Deux coctails, commanda l’enseigne qui amenait Renaud. Le garçon s’empressa, il y avait foule, les tables envahies, on causait de l’une à l’autre entre officiers de terre et de mer, car le bateau da Beyrouth allait appareiller, un bataillon à destination de Syrie prenait la mer. Parmi tous ces uniformes de l’armée de France, de rares civils sa mêlaient. L’un d’eux, à moustaches grises, ne sachant où se caser, pria poliment Yves Legoualec de l’autoriser à poser son bock, à sa table.

— Certainement, Monsieur, acquiesça le marin qui, aussitôt, se rangea un peu, de manière à permettre au nouveau venu de se glisser entre lui jet Renaud.

L’homme salua, s’assit sur la banquette et, tirant sort carnet, se mit à écrire sans s’occuper de ses voisins, très discret. •— Cela me plaît, dit un aspirant en levant sa coupe, que ma première croisière s’accomplisse à bord du Saint-Louis. Faites-moi raison, camarades, et buvons en l’honneur de saint Louis, mctn patron. A ces mots, l’étranger leva les yeux, un sourire ironique parut sur ses lèvres, mais il se tut. Les jeunes gens ne s’occupaient pas de lui, seul Renaud, qui le joignait, remarqua ce jeu de physionomie.

— Un bon bateau et un brave amiral, répondit un lieutenant, notre croisière sera intéressante, un but d’expansion française, et puis nous ne serons jamais isolés grâce au « sans fil », excellent progrès, mes amis, que noua ignorions quand j’avais votre âge.

— La vedette a déjà fait deux tours, remarqua un enseigne, le troisième sera le’ nôtre.

— L’amiral est à bord, la flamme flotte à la corne du grand mât. L’étranger venait de tirer sa montre, il avait ouvert le double boîtier, un merveilleux cadran d’émail bleu, les heures marquées en or, apparaissait aux yeux de son voisin. Renaud tressaillit à cette vue :

— Monsieur, dit-il, très rouge, voulez-vous me laisser regarder votre montre ?

■— Volontiers, jeune homme, elle marque 5 heures. Renaud saisit le bijou rare et superbe. A l’intérieur du boîtier ouvert, il remarquait la trace d’une gravure effacée, il pressa le ressort, fît sonnei ! le mécanisme.

Oh ! ce son, ce rappel, cet aspect des heures, comme tout cela faisait vibrer son cœur, il s’écria :

— - Monsieur, comment avez-vous celle montre ? i - Comment ? Mais par la vertu d’un certain nombre de billets de banque.

— A qui, où l’avez-vous achetée ?

Qu’est-ce que cela peut bien vous faire, mon petit matelot ?