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LE SECRET DU FORÇAT

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nison de son père. Mais elle eut un cri d’admiration quand elle vit le jardin en terrasse rempli de fleurs et de fruits, dominant la rivière, la ville et la campagne. Dès lors, sa principale occupation fut de soigner et entretenir les massifs, de cultiver les carrés de légumes et souvent aussi de se reposer appuyée sur le mur bas, enguirlandé de vignes vierges, qui retenait les terres au-dessus de la coupe rocheuse sur laquelle le haut de la cité est bâti. Entre ces deux créatures tendres, la mère et la fille, qui s’aimaient plus que tout au monde, une chose triste existait : le manque de confiance. Parfois, Félicie— Félia comme l’appelait sa sœur — regardait Yolande avec une indéfinissable expression de douleur ; ses lèvres s’entr’ouvraient, ses yeux se voilaient, il semblait qu’elle allait parler, un grand effort soulevait son cœur, puis le silence demeurait angoissant, lugubre.

— Maman, maman chérie, dit un soir, peu après son retour, la jeune fille en venant s’agenouiller contre le banc où Mme des Toumelles était assise sous la tonnelle de myrthes au bord de la terrasse, tu souffres^ est-ce que si tu me parlais cela ne te ferait pas du bien ? La mère eut un geste d’éloignement.

•—■ Confie ta peine, maman, tu sais que je peux tout partager, moi, tout comprendre maintenant. Tu as un secret qui te mine, tu ne ris plus, tu n’es plus celle qui chantait les soirs quand nous étions à Lunéville. Père dislait n’avoir jamais entendu voix si mélodieuse. Père est retourné à Dieu, je sais toute l’amertume de ton isolement, mais il a donné son- sang pour la patrie, c’est une gloire et tu ne devrais pas tant pleurer.

— Tais-toi, fais-toi 1

— Non, ne me crois pas ingrate, jamais je n’oublierai le cher aimé, si doux, si beau, qui m’enlevait dans ses bras, jouait avec moi et me comblait de caresses. Non, mère, je ne puis me consoler de sa perte, mais je suis sûre que s’il te voit du ciel divin où sont montés les martyrs du champ de bataille, il te blâme d’être si désespérée.

— Tais-toi, ma pauvre enfant.

— Mère, dis-moi une chose qui m’étonne, pourquoi au lieu de garder le nom glorieux du capitaine Montel mort pour la France, as-tu repris ici ton nom à toi et me fais-tu nommer Mlle des Toumelles, au lieu de Yolande Montel comme au temps de papa. Est-ce donc l’usage pour les yeuves ?

— Ma pauvre Yo, tu me tortures, tais-toi.

Et Mme des Toumelles chancelante avait fui cette causerie qui la brisait. Un secret, se disait la jeune fille, un secret, mais pourquoi à mon égard ? Qu’ai-je fait pour mériter pareille défiance ? Je suis discrète et sérieuse, je n’ai pas d’amies ici, toutes mes compagnes sont par delà les Pyrénées, et maman ne veut voir personne. Comme c’est triste la vie 1 Trouver la vie triste quand on a dix-sept ans est lamentable chose. Heureusement, les impressions passent vite ; la moindre distraction chasse les papillons noirs, et une petite aventure vint occuper l’esprit de notre rêveuse. Un jour qu’elle émondait les branches folles qui dépassaient le mur en terrasse, elle lâcha son sécateur et le vit tomber jusqu’en bas, dans la pelouse du parc de la marquise de Gensey dont la limite affleure la Mayenne. Pour aller chercher le mince objet, il fallait descendre la ville à travers les méandres des rues en escaliers, sonner à la porte de l’hôtel particulier de la marquise, obtenir de traverser les Jardins et finalement découvrir l’instrument dans l’herbe de la prairie. C’était assez compliqué. Mme des Toumelles ne permettrait peut-être pas une démarche envers des gens qu’elle ne connaissait nullement, elle préférerait perdre l’outil auquel Yolande tenait. Alors une idée vint à celle-ci. Elle attacherait un billet*