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LE SECRET DU FORÇAT

Dès lors, la villa des Alliés, sur l’Allier, fut conçue ; une année suffît pour la réaliser (i).

Au lendemain de la guerre, elle s’ouvrait ; un public de choix y affluait. Le professeur Heurteloup, frère de Mme Marmont, venait inaugurer la chapelle que le curé de Saint-Biaise consacra à Marie, Reine des Vierges, pendant que les six jeunes Marmont, en robes de lin couronnées de roses, chantaient de leurs voix pures un enthousiaste Magnificat. La bénédiction divine dès lors s’épandit sur l’entreprise CHAPITRE II

Yolande.

Mme Ismaèle de Sauvigny, née des Tourncllcs, avait eu la douleur de perdre son mari, amiral commandant l’escadre du Nord, dont la bravoure nous avait assuré plus d’un succès à la guerre, jusqu’au jour où son navire avait sauté par l’a faute d’un sournois sous-marin boche. La veuve, après s’être cloîtrée deux ans dans son manoir de Lorda au bord de l’Oudon en Anjou, s’était remise à l’existence mondaine qu’elle avait toujours aimée. Bien qu’âgée d’une soixantaine d’années, elle restait élégante, agréablement égoïste, mais nop^dénuée de cœur. Sa sœur Félicie, veuve aussi par la faute de la guerre, mais d’une manière si spécialement atroce qu’elle en restait inconsolable, habitait la petite ville pittoresque de Château-Gontier. Presque pauvre, par suite du prix de la vie soudainement quintuplé, elle luttait contre la fatalité qui brisait son avenir et celui de sa fille unique : Yolande.

L’enfant, âgée de huit ans en 1914, avait été envoyée au couvent du p Sagrado Corazon » à Barcelone. La supérieure du saint asile, éloignée de France lors des décrets-, était cousine germaine de son père. Celui-ci, en garnison à la frontière de l’Est lors de l’attaque du 2 août, prévoyant les suites désastreuses qui nous menaçaient, conseilla à sa femme de partir avec l’enfant, puisque son devoir à lui envers la France l’empêchait de protéger directement sa famille.

Félicie eut à peine le temps de fuir. L’ennemi entrait dans la ville avant qu’elle pût croire à l’invasion. Mais s’éloigner autant de son mari, mettre entre eux la frontière d’Espagne lui sembla trop cruel, elle conduisit Yolande à Toulouse, la remit aux soins d’une religieuse venue d’Espagne, et elle retourna à Paris pour s’enrôler aux ambulances des Secours aux blessés.

La jeune fille avait achevé son éducation à Barcelone, ses dix-sept ans radieux venaient de sonner quand elle revint au foyer maternel. Combien’ changé ce foyer ! Ce n’était plus la confortable installation de son enfance. Sa mère, qui se faisait appeler Mme des Tournelles, de son nom de jeune fille, avait dû se réfugier à Château-Gontier, en Mayenne, où une maison, héritage de famille, lui revenait. Sa très petite fortune personnelle suffisait, grâce à une sévère économie, à la faire vivre ; l’horrible fatalité qui avait brisé l’existence de son mari la privait d’une retraite. Quand Yolande arriva en ce pays inconnu, elle éprouva une surprise assez décevante ; les rues étroites, môntueuses de la sous-préfecture, la vieille demeure dénuée de confort, ne lui rappelaient en rien la jolie installation de la dernière gar- (1) Inutile de dire que la villa des Alliés n’existe que dans rimaginationâ