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Marthe fit un signe de croix :

— Mon Dieu ! c’est mon fils ou mon frère !

Elle courut à la grille, l’ouvrit toute grande, et le vieux fiacre, attelé d’un cheval de rebut loué à la gare d’Angers, entra péniblement tout enveloppé de buée. Une voix vibrante cria en ouvrant la portière :

— Maman Marthe ! Maman ! Grand’mère !

Et René fut dans les bras de Mme Ravenel qui l’étreignait :

— Mon chéri ! Mon enfant !

Mais le petit s’arracha aux mains prenantes, il se retourna vers la voiture pour aider Mme de Valradour à descendre, l’entraîner à la clarté du vestibule et la pousser contre le cœur de Mme Ravenel. Alors, il les prit toutes les deux par le cou et mit sa tête entre elles :

— Mes deux mères, mes deux amours ! Vous êtes sœurs et je vous aime tant ! Grand’mère, tu as deux filles à présent.

Rien ne saurait rendre l’émotion de cet instant ; il y avait des larmes et des sourires, les trois femmes se regardaient, si différentes d’aspect extérieur, mais réellement unies par les sentiments d’âmes, sœurs par la foi, la loyauté, leur courage, leur tendresse pour cet être d’élite : l’enfant !

L’attirance sympathique fut instantanée. Maria-Pia prit place dans la famille, elle sut exprimer à Marthe Ravenel la reconnaissance que celle-ci prétendait devoir être tout entière de son côté, car elle devait à René Je bonheur de s’être crue réellement mère.

Presque toute la nuit se passa en causerie. Que d’explications ! Que de mystères à éclaicir ! Le lendemain, on régla l’arrangement familial, dont René fut l’oracle. Très sagement, il proposa ceci :

— Nous attendrons ici la fin de la guerre. Je ne retournerai pas au collège, j’ai tout le temps d’apprendre la science en théorie. A la campagne la terre agonise, je vais me faire jardinier, je vais bêcher et semer le potager. Voici le printemps, nous devons préparer la récolte. J’aiderai le père Nicolas, qui a soixante-dix ans et manque un peu de forces. Plus tard, après le triomphe, nous irons tous à Valradour, nous occuper de nos intérêts.

— Tu as mille fois raison, « notre fils », dit Marthe Ravenel avec un sourire, de la sorte, on ne se séparera plus.

— Vous allez me donner ma part de travail, ajouta Maria-Pia, je sais fabriquer beaucoup de choses... avec des boîtes de conserves. En plus, vous h’avez pas idée du plaisir que j’aurai à reprendre l’aiguille, j’en suis privée depuis douze ans ! Plus tard, je vous demanderai encore de m’accompagner en Italie.

— Oh ! oui, nous irons tous, s’écria René. Mammina, tu nous conduiras chez toi, je veux connaître mes parents de Palerme et de Naples.

— Ils doivent se battre. Mes deux plus jeunes frères, Paolo et Antonio, étaient au régiment des bersaglieri quand j’ai quitté ma patrie. A présent, ils ont l’un trente-deux ans, l’autre trente-trois. Sûrement ils sont officiers.. à moins que...

Son fils l’embrassa pour effacer le nuage.

Un matin, la famille reçut une dépêche :

J’aî un mois de congé de convalescence, je viens le passer près de vous.

PlERRE.

René resta loute la matinée à remettre l’auto en état. Depuis de longs moîs, elle n’avait pas roulé ; mais le jeune chauffeur lui rendit la souplesse et le mouvement, puis il alla chercher « tonton Pierre » à la gare d’Angers. Le jeune prêtre avait épinglé sur sa capote la croix de guerre avec palmes ;