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Dès 11 heures, il fallut partir en voiture découverte, la neige avait cessé, mais une épaisse couche sur le sol amortissait le bruit des roues.

Cette dernière étape était cruelle, mais ce n’était pas le moment de manquer de courage. Encore une fois, la Providence était visiblement intervenue au secours du vaillant enfant, qui avait placé sa foi en elle. Il songeait, en arrivant à la gare déserte, aux infortunés compagnons de fuite... quel serait leur sort ? La mère et le fils n’osaient se communiquer leurs appréhensions. Quel soulagement, quelle fervente bénédiction les fugitifs envoyèrent au ciel, quand ils se virent enfin installés dans un compartiment du train hollandais, en route pour le port de salut qui les rallierait à la France !

Ils ne pouvaient s’empêcher de laisser couler leurs larmes en s'étreignant cœur contre cœur.

Mousson, couché près d’eux, gémissait doucement.

CHAPITRE XXX

LA CAMPAGNE D’ANJOU

La fin de janvier 1916, les bourgeons poussent, la campagne est si en avance par ce temps de pluie, de brumes, sans aucune gelée, que la nature se croit au printemps, les pêchers fleurissent, les romarins sont en pleine fleur.

Mme du Plessis a été tout heureuse de recevoir à sa maison de campagne sa chère fille Marthe et de la consoler, par sa tendresse maternelle, de son triste veuvage. Mais Marthe est courageuse. Ainsi que la plupart des Françaises, elle comprend tout son devoir et tâche de regarder l’honneur du héros mort pour la patrie comme une compensation de son deuil.

Elle s’impose de ne pas pleurer ; elle prie, elle travaille, elle s’étourdit, au milieu de l’occupation constante que nécessite la vie aux champs.

Les lettres qu’elle reçoit des amies de Paris lui disent qu’on s’amuse, qu’on bridge, que les salons sont rouverts, qu’on goûte et même, dans quelques maisons, qu’on danse !

Il y a beaucoup de dîners, le commerce marche à merveille et les toilettes ont beau être d’un prix excessif, l’argent ne se montre pas rare... Il est vrai que l’or a disparu et que les billets bleus voltigent sur tous les comptoirs.

Nos Angevines ont une existence moins superficielle, elles s’ingénient à suppléer au manque de travailleurs des champs en travaillant elles-mêmes, encourageant les femmes, aidant selon leurs forces. Chaque dimanche, elles réunissent les fermières au Plessis. Elles leur offrent le thé apres Vêpres et on cause, on s’entretient des absents, on parle des travaux, de l’élevage. Mme Ravenel lit quelquefois une colonne de journal, une anecdote, des phrases d’espoir et des conseils pratiques.

Quand la réunion se dissout à la nuit tombée, chacun emporte dans son cœur un peu plus de courage. Châtelaines et fermières se sont entendues, comprises, estimées davantage.

Une immense joie a passé sur l’existence calme du Plessis. Le soir de l’Epiphanie, juste comme Juliette apportait la galette chaude, où se cachait la fève ; car, malgré le deuil, on conservait la tradition, et dans la cour de la ferme les pauvres « réfugiés » demandaient la « part à Dieu » ; le vieux fermier, Nicolas, accourut tout impressionné :

— Madame ! une voiture qui monte l’avenue ! On voit les lanternes !

— Une voiture ! Une visite à 8 heures du soir !