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— En effet, ce serait prudent. Je choisis au hasard, si vous voulez, nous irons à droite.

— Nous à gauche, alors.

Ils se turent. Les voix des soldats venaient jusqu’à eux.

— Quelle chance d’avoir pour protectrices ces touffes épaisses, songeait René ; si seulement elles ne piquaient pas ! Si, au lieu d’ajoncs, c’étaient les grands genêts de Vendée où s’égaillaient les Chouans, comme racontait grand ’mère.

Vers 4 heures, à la chute du jour, les premiers flocons blancs commencèrent à tomber d’un vol silencieux.

— Mon chéri, je vais retourner ma fourrure, dit Maria-Pia ; elle est doublée de blanc, avec mon mouchoir sur la tête, je serai en costume de neige. Fais-en autant. Tu as un chandail blanc ; quitte ta veste sombre, il ne faut pas faire tache dans la symphonie en blanc. Ainsi transformés, même les projections à travers le nuage ne nous découvriront pas. Il faut donner ce conseil à nos compagnons.

Mais ceux-ci étaient déjà partis, ils se glissaient, courbés entre les buissons qu’ils évitaient de remuer, en tremblant de peur et de froid. La nuit de décembre descendait très vite, un long rayon lumineux rasa les cimes vertes de la lande. Il courut de l’Est à l’Ouest et s’arrêta sur le village néerlandais.

— C’est parfait, remarqua René, il nous marque notre but, marchons doucement sur la mousse.

Ils allaient sous la cinglée blanche, mais ils ne sentaient pas le froid ; le chien suivait, docile. De temps à autre, une pause était nécessaire pour s’orienter ; la projection planait sur l’étang, elle irisait les flocons de neigo comme un décor de féerie ; soudain un appel :

— Ver da !

Puis un coup de feu. René et sa mère s’aplatirent sous de grands osiers. Ils perçurent un bruit de lutte puis une galopade d’hommes. René tenait le museau de Mousson dans ses deux mains.

— Je crains bien que oe ne soient nos pauvres compagnons... murmura Mme de Valradour, qu’ils aient pris...

— Maman, vite, profitons de cette diversion pour passer. Les maisons ne sont plus qu’à presque cent mètres ; tache de courir, donne-moi la main...

Ils contournaient les touffes d’arbustes, avec la peur de s’égarer, ne voyant plus le village. Pourtant une lueur falote tremblotait par moment ; ce devait être une fenêtre éclairée. Elle leur servait d’étoile conductrice.

Bientôt ils furent au pied de la tourelle élevée par les Allemands, la borne-frontière était au pied. C’était une pierre dressée que les fugitifs ne pouvaient apercevoir dans l’ombre, pas plus qu’un soldat assis dessus.

René dans son élan, butta contre cet homme. Celui-ci bondit et sa lourde main tomba sur l’épaule du petit :

— Ah ! je te tiens, fit l’Allemand.

— Mère, sauve-toi, je te rattraperai, dit le garçon en français.

Mais une horrible anxiété clouait sur place Maria-Pia.

L’enfant essayait de se couler hors de l’étreinte, de donner un croc-enjambe ; seulement, le robuste Teuton riait des tentatives du faible fugitif. Pourtant, il cessa de rire sous le choc formidable de Mousson lui sautant à la gorge. Le chien, voyant son maître maltraité, comprit son devoir de défenseur et se rua de toute sa force au cou de l’ennemi. Celui-ci lâcha prise aussitôt. Par bonheur, il était seul, ses camarades avaient couru à la recherche du pauvre consul et de sa femme. René n’hésita pas une minute ; laissant son chien se débrouiller avec le Boche, il attrapa sa mère par la taille et se mit à courir avec elle vers les maisons.