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— Ne craignez rien, je suis le correspondant de Laxen. Ecoutez-moi, il ne faut pas marcher en plein jour dans cette lande découverte ; vous seriez aperçus et on vient justement d’arrêter des prisonniers échappés. Cachez-vous dans les ajoncs. Les maisons que vous voyez au Nord sont en Hollande. Une fois là, vous êtes sauvés. Vous trouverez une auberge appelée Tournehout, entrez-y sans crainte. N’allez pas tout droit, il y a un étang devant vous ; en pre à droite ou à gauche — cela est indifférent — vous le contournerez et arriverez d’un côté ou de l’autre au même but. A présent, filez vite vous cacher, les mineurs vont sortir du coron.

Il avait parlé tout d’une haleine, à demi-voix ; le consul lui tendit une pièce d’or, il la repoussa :

— Je suis Français, dit-il en s’éloignant.

René le suivit du regard, et portant scs doigts à ses lèvres, il eut le geste charmant d’envoyer un baiser, que son compatriote ne vit pas.

Les ajoncs étaient assez hauts, piquants et rudes ; ce n’était pas une promenade d’agrément de passer entre ; mais qu’importait 1 Là-bas, aux maisons basses, c’était la frontière de Hollande !

Aussi loin que leurs regards pouvaient plonger, ils n’apercevaient aucun sujet d’inquiétude ; cependant, il devait y avoir des sentinelles cachées, puisque le porion avait conseillé de se dissimuler jusqu’à la nuit.

Le ménage français s’assit près d’une épaisse touffe d’ajoncs, René et sa mère s’allongèrent sur une mousse grise courte et sèche à l’abri des genévriers. Nul ne pouvait les découvrir, enfouis ainsi sous les broussailles. Le vent au-dessus d’eux courbait les branches, les nuages s’abaissaient lourds de neige. Maria-Pia étendait les pans de sa fourrure sur son enfant. Les heures leur paraissaient interminables, ils avaient froid et faim, ils échangeaient quelques mots avec leurs compagnons de fuite à voix basse. Ils pouvaient contempler en haut les wagonnets remplis de charbon, qui reprenaient la route aérienne ; cela les intéressait par la pensée du long voyage qu’ils venaient d’accomplir par ce singulier procédé, suspendus entre ciel et terre, heureux de l’ingénieuse idée des braves mineurs. Du côté de la frontière, un autre mouvement attira plus tard leur attention. Un groupe de mulets chargés suivait la lisière de la prairie, il s’arrêta en face des maisons et les soldats se mirent en devoir d’élever une tour destinée à l’installation des projecteurs de campagne ainsi que les infortunés fugitifs purent le deviner. Le consul eut un regard inquiet :

— Ils vont balayer la frontière avec leurs projecteurs ! susurra-t-il ; il faudra passer entre les rayons.

— Nous passerons, affirma René ; d’ailleurs, il va neiger et les flocons nous feront abri. Soyez sans crainte, Monsieur.

— Sans crainte... tenez, qu’est-ce qui arrive ?

Ils entendirent une course haletante, les branches remuées, ci soudain une grosse bête jaune émergea du fourré, trempée, langue pendante, poil hérissé, un bout de corde au cou.

— Mousson, mon bon chien ! dit René, quel bonheur ! Allons, couche-toi, tu as passé la rivière à la nage, arraché ta muselière, brave Mousson !

— Silence donc, ordonna le consul, votre horrible bête va nous faire remarquer.

Entre les ajoncs l’eau paraissait miroitante, ce devait être l’étang décrit par le porion ; au lieu de répondre, René observa :

— Tant que le jour dure, Monsieur, examinez donc par où il vaut le mieux passer, il ne faudrait pas tomber à l’eau cette nuit. Je suis d’avis que vous preniez d’un côté de l’étang et nous de l’autre, pour faire moins de mouvement et diviser nos chances.