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kilomètres environ à faire à partir d’ici, les chemins sont mauvais, souvent il faut s’arrêter et se cacher.

— Ma mère ira dans la voiture à chiens, cela passe à peu près partout. Votre fils ramènera l’attelage.

— On essayera de marcher ainsi ; mais il faut à tout prix que les bêtes soient solidement muselées, le moindre aboiement nous dénoncerait. Maintenant, reprit l’hôtesse, allez dormir ; soyez en paix, je vous avertirai, faites attention, donnez-moi la main pour monter, il serait imprudent de rallumer la lampe. Voilà justement le pas d’une patrouille, dans la rue. Tous se turent, nul n’osait bouger ; devant la porte, des soldats traversaient la chaussée, on percevait le bruit de leurs bottes et le cliquetis de leurs armes. Alors, les proscrits, le cœur ému, rentrèrent chacun dans son appartement, afin d’essayer de prendre un peu de repos et de forces pour les grandes fatigues du lendemain.

CHAPITRE XXVIII

LE CHEMIN DES OISEAUX

Ils étaient tellement las qu’ils dormirent d’une traite dans la tranquille auberge. Il faisait nuit noire quand le petit Belge, Léo, âgé de douze ans, vint cogner à la porte des fugitifs. Ils devaient se vêtir sans lumière, le moindre filet clair passant à travers les volets pouvant donner l’éveil aux patrouilles. Mais l’obscurité gênait peu Mme de Valradour, qui avait vécu douze ans au milieu des ténèbres. Quant à René, il se faisait à tout le plus gaiement du monde. Il caressa ses chiens, calma Mousson, toujours prêt à grogner de jalousie, et installa sa mère dans la petite voiture ; le jeune guida avait fortement muselé les bêtes afin de s’assurer de leur silence. Mousson essayait, avec rage, d’arracher la courroie qui lui encerclait le museau, mais en vain.

Le ménage français prit la tête du cortège avec le guide, ensuite la petite voiture que René dirigeait silencieusement, la main au collier de Rip.

Le temps n’était pas froid, l’hiver de cette triste année offrait peu de gelée, le plus grand silence était de rigueur, surtout à travers le village. La terre molle était sans écho sous les pas prudents des voyageurs. Aucun rayon de lune, de rares étoiles scintillaient derrière les nuages effiloqués, un vent léger d’Ouest apportait parfois des bruits vagues : roulements, stridences, voix... Hors de la grande rue, on respira plus aisément, la route plate courait à travers une plaine nue, marécageuse ; à part le groupe tragique, timide, nul être humain, nul oiseau nocturne ; les pas faisaient vibrer autour d’eux de faibles crépitements d’eau ; les chiens, haletants, tiraient de toutes leurs forces les roues minces trop enfoncées dans le sol gluant. René essaya d’attacher en flèche ce paresseux de Mousson, mais rien ne fit, ni coups ni caresses. Il finit par se coucher en travers des autres bêtes. René, alors, se mit à pousser par derrière. Sa mère voulait descendre, marcher ; il dut lui représenter le péril auquel ils seraient tous exposés par un retard, et elle fut bien obligée de se résigner. Ils finirent par arriver quand même au petit jour à l’usine muette et sombre. Le petit Flamand ouvrit la barrière de bois de la cour au charbon.

Une lanterne suspendue à une perche éclairait un homme qui actionnait un treuil. Il lâcha la poignée en voyant entrer les voyageurs.

Le consul lui tendit la main et René perçut le bruit d’argent remué. Il comprit, tira vite de sa ceinture dix louis à l’effigie de Louis XVI et les