Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils étaient entrés dans une maison sans toitures, vide de meubles, qui avait été pillée et bombardée, René éclairait un peu l’ombre avec son briquet, il butta dans une barrique vide qui rendit un son sonore. Il y avait là plusieurs barriques, et soudain, illuminé de joie, il s’écria :

— Maman, j’ai le radeau, Maman ! nous allons passer l’eau et nous irons dormir au chaud, là-bas, au village ; grand’mère Ravenel m’a conté souvent que sa propre grand’mère, lors des guerres de Vendée, avait passé la Loire dans une barrique.... Attends un instant, tu auras un radeau.

Sans différer, vite, afin de profiter du reste de jour, le courageux garçon roula deux fûts sur la route, il enfonça deux fortes branches d’arbre dans les orifices des bondes, les laissant dépasser assez afin de pouvoir, en les liant ensemble, rapprocher les deux barriques. Le lien nécessaire fut aisé à trouver. René avait vu à la campagne les paysans tordre des branches pour les rendre souples et attacher avec les fagots de bois. Il coupa de longues baguettes de saule qui firent merveilleusement l’affaire, ensuite, il arracha un volet qui pendait, tenu par un seul gond, le fixa sur les tonneaux et le rustique radeau fut construit. La nuit était presque complète ; heureusement la lune se montrait très claire dans un ciel de gelée.

— Maman, viens, il me semble que nous sommes des naufragés... les chiens nageront, la charrette aussi, j’espère, je l’amarre à notre yacht de plaisance, je place les valises près de toi, je me déchausse et je pousse l’esquif, je vais couper une longue perche, mon couteau a une petite scie, les arbres du bord de la route nous serviront de guides, afin de ne pas perdre la voie.

— Tu es le plus ingénieux des garçons ! Comment pourrais-je assez remercier Dieu de t’avoir donné à moi.

— Tu m’inspires ! Sans toi, qu’aurais-je fait ? Je serais sur le banc de la salle d’étude au collège, au lieu de jouer au Robinson Crusoë, ce qui est autrement passionnant. Viens.

Le brave enfant, toujours fidèle à sa foi, agissait tout en parlant, il se servait de sa branche comme d’un levier pour mettre à flot sa construction. Il l’arrêta au bord.

Monte, maman,

Maria-Pia partageait la confiance de son fils, elle se laissa hisser sur le volet, s’y assit à côté des sacs de voyage. Elle prit les vêtements de René, qui n’avait gardé que sa chemise, comptant diriger le radeau à la nage, s’il le fallait ; il lâcha les chiens en pleine eau et résolument y entra à son tour. Sa mère souffrait de le voir ainsi assumer toute la peine, lutter pour elle ; elle priait tout bas.

Le petit claquait bien un-peu des dents, mais il se roidissait, sentant à quel point il était nécessaire de ne pas dévier, de suivre la route droite, au lieu de partir à travers les prés inondés. Bientôt, il eut de l’eau aux épaules, puis jusqu’au nez. Il fallait nager, mais ce fut très court, il sentit que la pente remontait, il vit les chiens atterrir ; alors, de toutes ses forces, il lança le radeau et le fit échouer au bord du flot.

— Ah ! maman, la Providence est avec nous ! Je n’en ai jamais douté.

— Oui, figlio mio. Elle se sert de toi et tu sais bien répondre à son appel. Maintenant, reprends vite tes vêtements, je les ai tenus chaudement sous ma pelisse.

En un tour de main, René fut prêt, une bonne réaction ravivait son énergie, il réattela ses bêtes et le petit cortège remonta la pente dans la direction du village.

  • - Je ne pense pas que les Boches nous découvrent à présent, fit René