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René posa près d’elle les valises, arrangea sa fourrure, et quand elle Tut bien installée, il mit un baiser sur la joue de celle qu’il aimait.

Elle le retint un peu contre elle :

— Nos rôles sont intervertis, figlio mio, c’est toi qui es le protecteur, je te dois tout : liberté, bonheur, tendresse.

— Et moi, je te dois le bien suprême : la vie, la joie d’aimer. Avançons à présent, ces attelages bolges sont si extraordinaires, je n’en avais jamais vu. Il n’y a pas de guides, les chiens se dirigent à la voix. Vont-ils me comprendre en français... Allez ! hue ! au trot !

Les deux bêtes firent un effort, tendirent les reins ; leur charge nouvelle ne devait pas être plus lourde, certes, que les quarante à cinquante litres de lait dont ils avaient l’habitude.

— Mousson, paresseux, derrière ; assez de grognements, vieux jaloux !

Le chien se résignait mal à voir l’admission do ses congénères, il s’en allait boudeur, la queue basse, humilié d’être inutile.

Sur la route brune, déserte, allongée à perte de vue, les fugitifs avançaient sans crainte, heureux de leur affection, de leur invincible chance renouvelée à chaque étape. Avec la foi, on passe partout.

CHAPITRE XXVII

LE RADEAU

L’arrivée de la nuit était inquiétante, aucun abri ne se montrait, la route côtoyait des prairies inondées et, au bas d’une côte, elle était complètement coupée sur une longueur d’environ cent mètres, après laquelle la pente remontait. René regardait avec angoisse l’immersion des arbres de chaque côté du chemin, ce qui lui indiquait une certaine profondeur au bas de la descente. Comment franchir cet obstacle ? L’eau monterait plus haut que la pauvre charrette. Au fond de l’horizon, il apercevait les lueurs d’un village, quelques maisons éclairées ; comment gagner cette oasis ?

Sa mère partageait son anxiété, leurs yeux erraient aux alentours, aucun bateau, aucun pont, une route inondée par la pluie persistante de décembre. Il allait falloir camper là ; nul passant ne venait, nul bruit, un silence sinistre.

René rangea son attelage au bord du fossé, ouvrit les sacs et on soupa assez maigrement avec les provisions emportées de Valradour, dont il fallut donner la plus grande partie aux animaux de trait. Mousson, toujours hostile, refusa de manger et alla se coucher du côté opposé au chemin.

— Si j’essayais de rendre la caisse de la voiture étanche, proposa René, elle flotterait, on détellerait les chiens qui nageraient, moi aussi.

— Je sais bien nager, hasarda Mme de Valradour, seulement l’eau glacée nous paralyserait...

— Essayons de camper. Demain, au jour, on avisera, il y a ici une sorte de masure en ruines, on s’abriterait contre les murs ; vois-tu ce que je veux dire, à droite ?

— Alors on pourrait peut-être faire un peu de feu... L’humidité est terrible.

— Oui, mais s’il allait nous dénoncer.

— C’est juste, résignons-nous.