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elle nous défendra contre le vent qui me semble s’élever et va emporter le brouillard qui nous pénètre. Si les Boches nous pourchassent, nous tournerons autour du massif, mais je ne crois pas... Ah ! que je voudrais donc trouver une voiture pour toi ! J’aperçois bien une ligne de chemin de fer... mais sans passeport, comment oser se présenter dans une gare ?

— N’y songeons pas. Ecoute, j’entends un bruit de grelots, vois-tu là-bas, dans le chemin, ce petit équipage belge ?

— Je vois une charrette attelée de chiens, en effet ; c’est très belge, sais-tu ?

Il riait, elle continua :

— Si nous achetions l’équipage !...

— La belle idée, je vais voir.

René courut à la paysanne qui marchait à côte de ses bêtes et l‘interpella :

— Vous venez de la ville, allez-vous loin ?

— Oui, que je vas loin, j’ai porté le lait dehors.

— Et vous rentrez avec vos pots vides à la ferme ?

— Oui, que je rentre ; c’est Rip et Clouck qui sont contents.

— Ils aiment mieux le retour que l’aller ?

Elle sourit :

— Moi aussi, tu sais, le pelit Monsieur.

— Combien valent Rip et Clouck ainsi attelé ?, avec la charrette ?

La paysanne regarda son interlocuteur, surprise, d’abord, puis satisfaite, elle répondit :

— Pas cher, ils sont maigres ; le pain est rare depuis que les ennemis le mesurent, vous savez.

— Est-ce que vous voudriez vous en débarrasser ?

— Des ennemis ? Ah ! que je vous crois.

— Naturellement, aussi des chiens. Si vous vouliez me les vendre avec la voiture ?

— C’est selon, qu’est-ce qui porterait le lait en ville ?

— Leurs frères chiens. Vous n’en avez pas que deux, je suppose.

— J’en ai, mais pas dressés ; tout de même, qu’est-ce que vous donneriez ?

— Vingt marks.

La paysanne arrêta l’attelage. Elle réfléchissait.

— Avec encore autant on verrait voir, sais-tu ?

— C’est tout vu, je donne les quarante marks, enlevez les pots de lait.

— Tu vas vite en alïaires, savez-vous.

— Ce sont les meilleures.

Il tendait l’argent. La bonne Belge paraissait ravie, les chiens indifférents ; mais René prit dans la valise un pain fourré de jambon et le partagea entre Rip et Clouk, au grand désespoir de Mousson qui tournait autour de ses congénères en grognant.

— Silence, Mousson, cc sont des alliés.

La paysanne chargée de ses pots, enchantée de l’aubaine inespérée, continuait son chemin. René, encore plus ravi, conduisait son acquisition d’un air triomphant.

— Maman, ta voiture est avancée !

Il s’amusait, jamais trompé dans sa confiance heureuse ; il croisa ses deux mains sur sa cuisse, comme un écuyer pour mettre en selle une amazone, et dit radieux :

— Aie la bonté de monter, Mamma mia.

Maria-Pia mit la main sur l’épaule de son fils et légèrement, souriante, elle s’assit dans la caisse carrée en bois blanc, qui constituait le « carrosse »