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officier laissé au château pour le mettre en état de recevoir le souverain malade, présidait la table. Elle était chargée de victuailles. René prit un plateau sur une étagère et y posa tranquillement du pain, un poulet rôti, des pommes de terre, une bouteille de vin. des confitures, une tranche de pâté, du sucre et une cafetière emplie de café bouillant.

— Qu’est-ce qu’il fait, celui-là ? exclama le sergent.

— Ce qu’il doit faire. Silence, ou je fais mon rapport demain, riposta l’audacieux garçon en parfait allemand.

— Suffit, dit l’autre, en se versant une pleine coupe de champagne, qu’il avala d’un trait.

René remonta chargé de ses provisions, et dîna presque gaiement avec sa mère.

— Vois-tu, maman, j’ai toujours dans ma poche le sauf-conduit au nom de Karl Hartmann ; quand il le faudra, j’incarnerai le personnage.

— Mon compatriote, le mime Frégoli, te rendrait des points. Quand j’étais jeune, en Italie, nous avions un acteur nommé ainsi, qui jouait à lui seul une pièce à plusieurs personnages. Il changeait de personnalité avec une incroyable habileté. Alors, nous attendrons demain pour voir leur grand empereur universel ?

— Nous ne saurions faire autrement. D’abord, tu n’es pas encore bien forte. Ensuite, il faut que je trouve, un véhicule quelconque.

— Autrefois, nous avions chevaux et voitures à Valradour.

— Les chevaux ont été réquisitionnés ; quant aux voitures… qu’en ferions-nous. On avisera demain ; « à chaque jour suffit sa peine », dit un proverbe français. Tu vas te coucher, mère, et tâcher de dormir.

Quand ils eurent dîné, Mousson expédia les restes, sans négliger un os. Le mère et le fils firent leur prière fervente, si douce, à genoux l’un près de l’autre, leurs mains croisées ensemble, la droite de l’un dans la gauche de l’autre, unis dans une même foi, un même amour !

XXV

LE VAUTOUR BLESSÉ

L’aube filtrait à peine à travers les rideaux de la chambre où dormait René, près de celle de sa mère, quand celle-ci, levée déjà, entra chez son fils. Elle se pencha sur lui, contempla le visage calme, le front pur, la tranquillité confiante de ce paisible sommeil. Pour l’éveiller, elle l’embrassa doucement. Tandis que Mousson, allongé sur la descente de lit, poussait de petits cris tendres en léchant les pieds nus de Maria-Pia.

— Je crois que nous devons nous habiller, mon Pio, j’entends les soldats aller et venir dans la maison.

L’enfant passa ses deux bras autour du cou de sa mère bien-aimée.

Mammina, buon giorno ! Comme c’est bon de voir à l’éveil ton cher visage ! C’est le bonheur pour la journée. En cinq minutes, je serai prêt. Hier, je suis allé faire quelques emprunts à la garde-robe de mon grand frère… Vois, tout est rangé sur cette chaise ; j’ai même découvert, dans les tiroirs de sa commode, une ceinture en peau de daim, j’y ai glissé environ cent louis ; avec ce que tu as, nous aurons de quoi attendre la fin de la tourmente. Nous les changerons aussitôt en France, afin de donner de l’or au trésor national. Habille-toi chaudement, j’ai fouillé dans les armoires, et je t’ai descendu cette pelisse de zibeline, qui évi-