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en partant, car elle en vaut la peine. Essuyez ces cristaux, cette vaisselle, qui paraît n’avoir pas servi depuis longtemps. Sa Majesté dînera ici, avec scs médecins et officiers d’ordonnance.

— Le vautour est donc malade ? pensait René ; le fait est que je lui avais trouvé une vilaine mine aux Amerois. Alors, le kaiser qui parade sur tous les « fronts », c’est le « sosie », celui qu’on montre à l’air belliqueux, aux moustaches hérissées. Comme on apprend des choses, à faire mon métier ! Ah ! les voilà qui rappliquent, je me sauve.

A pas de loup, il s’enfonça dans la nuit. Il savait son chemin, il refermait avec précaution derrière lui toutes les portes. Quand il fut à celle du souterrain, il approcha une futaille, se glissa dans l’entre-bâillement du battant et ramena avec sa main la barrique tout contre l’entrée, puis, l’oreille au guet, il épia. Bientôt, il entrevit une lueur filtrant entre les jointures de sa cachette, le son des voix lui arrivait clairement :

— Mince de liquide, remarqua un soldat, qui devait avoir servi dans une taverne de Montmartre, sans doute en qualité d’espion ; la réputation des caves de Belgique est usurpée ! Y a tout juste de quoi se rincer la dalle dans cette turne. La plupart des fûts sont vides.

Il donnait de grands coups de pied dans les futailles, qui résonnaient, emplies d’air. Il conclut :

— Remontons, il faudra réquisitionner quelques barriques de vin et de bière dans le voisinage, sous peine d’avoir la pépie. Ouste ! kamarades, remontons ; il gèle ici.

La lueur et le bruit se perdirent. Alors, le garçon continua jusqu’au profond souterrain. Il avait une idée :

— Je vais emplir mes poches de tout l’or que je pourrai, nous en aurons besoin pour la fuite ; après, je remettrai les pierres plates sur l’excavation, pour que les Boches ne la trouvent pas ; plus tard, à la paix, nous reviendrons.

Il tâtonnait, moins habitué que sa mère à l’obscurité ; heureusement, il avait en poche son briquet. Quand il plongea ses mains dans les amas d’or, il eut une hésitation...

— Est-ce que je vole... est-ce que j’ai le droit... ?

Comme toujours, lorsqu’il était dans l’embarras, il évoqua la pensée l’oncle Pierre.

— Inspirez-moî !

Et la voix intérieure dit !

— Prends, tu es chez toi, tu as besoin d’or pour toî et les autres, tu ne commets aucune faute.

L’enfant se chargea sans enthousiasme, le maniement des richesses n’avait sur lui aucune prise. Mais il pensait à sa mère, à l’oncle Pierre, au besoin d’argent pour vivre, voyager, regagner la patrie !

Les heures parurent longues au pauvre garçon emprisonné. Il comprit encore plus l’horreur des années de séquestration endurées par sa mère, en ces affreuses catacombes. Il s’ingéniait à reconstituer les occupations de l’infortunée recluse, il admirait le parti qu’elle avait su tirer des boîtes de conserves. Il grignota un peu des derniers biscuits, et comme il en prenait un, sa main se posa sur un petit corps velu qui ne s’enfuit pas :

— Le rat de maman !

Il prit la bestiole, nullement farouche, vive, au doux pelage, et il se demanda pourquoi on avait tant d’antipathie pour le rongeur très propre, aisément familier. Il alla boire à la source, heureux d’accomplir tous les gestes de celle qu’il aimait. Il colla son visage le long de la fente, d’où venait l’air du dehors, par où il avait passé jadis.... Les excellents Ravenel