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comme toute la maison. Je suis envoyé en fourrier ici. Nous croyions le château inhabité.

— Il y a quatorze ans que j’y suis, sans l’avoir jamais quitté un seul instant. Que pourra bien faire ici l’empereur de Belgique ?

L’empereur de Belgique est aussi l’empereur d’Allemagne, de France, de Serbie, de Monténégro ! S. M. Wilhelm II.

— Dont vous seriez le « Chat botté », comme dans les contes que me contait ma nourrice, c’est l’empereur de Carabas !

— Peu importe, fit le lourdeau, qui croyait avoir affaire à une simple d’esprit. Vous allez avoir le grand bonheur de le recevoir… chez lui.

— Chez lui ? je n’ai nulle intention de m’y rendre pour y être son hôtesse.

— Ici. Comprenez donc que partout où loge le maître, il est chez lui ! Or, nous avons choisi cette résidence, parce qu’il a besoin d’air pur, de grand calme, d’isolement et de confortable ; cette maison nous paraît appropriée selon nos désirs. Ecoutez mes ordres et soumettez-vous-y à l’instant même, sous peine…

— De retourner dans la cave, comme les enfants méchants ?

— Trêve de railleries. Vous recevrez une équipe de valets tout à l’heure ; ils doivent préparer les pièces, allumer les feux, organiser les cuisines, vous devez avoir du linge en quantité. Reettez-moi vos clés.

— Je n’en ai pas une.

— Bien. Elles sont aux meubles ? ça suffit. Vous allez quitter cette chambre, que prendra probablement le kaismr. Elle est grande, bien exposée au rez-de-chaussée, ce qui est plus commode pour le service.

— Où donc irais-je ?

— 11 doit exister des logements dans les combles, vous y serez tolérée.

— De la cave au grenier ! étrange destinée, soupira Mme de Valradour.

— Vous avez déjà payé une contribution de guerre ?

— Je l’ignore. 11 faut demander cela au gardien.

— C’est le domestique qui garde la galette ici ?

— La galette ! Je ne sais s’il en reste, il y a, en tous cas, une réserve de boîtes de sardines.

— La drôle de bonne femme ! exclama l’Allemand, se moquerait-elle de moi… Tant pis pour elle, si elle ose. Je vais examiner les appartements et désigner leur emploi ; en attendant que je revienne, videz les lieux.

— Oh !

Il sortit, claquant la porte.

René aussi sortit tout doucement de sa cachette. Il riait, il saisit la main de sa mère, l’embrassa :

— Tu as été admirable l Seulement, il va falloir sortir d’ici. Vivre sous le même toit que ces malappris serait impossible. Tant que le Werner est au château, je ne peux pas me montrer, je vais aller me cacher dans le souterrain. Quand il sera loin, envoie Albert m’appeler.

— Va, mon trésor, et surtout ne t’expose pas !

René se faufila hors de la chambre. Il entendait un bruit de bottes et de voix à l’étage supérieur. Déjà sur la porte du salon, il put lire ces mots écrits à la craie : « Zimmer den doctor ». Il se dissimula derrière le battant de l’entrée de l’escalier conduisant à la cave ; il voulait entendre, il aurait toujours le temps, quand l’ennemi descendrait, de s’enfuir. Le « feldwebel », resté en bas, ne faisait aucune attention à lui, iï s’occupait à inspecter les buffets de la salle à manger, donnant des ordres à deux soldats qui le suivaient.

— Prenez cette argenterie, frottez-la et qu’elle brille, et ne l’oubliez pas