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j’avais marqué en face sur la paroi une sorte de cadran. Avec toutes mes boîtes de conserves — oh ! une montagne, tu verras — j’avais confectionné des outils ; je grattais, limais la pierre, je me réchauffais par cet exercice. J’avais construit une armoire, une table, un tabouret. J’augmentais mon peu de lumière avec des réflecteurs, composés de couvercles métalliques frottés avec du sable et très brillants.

— Quelle ingéniosité !

— Quand on est seule toujours et qu’on ne veut pas s’abandonner au désespoir, garder des forces, on a l’esprit inventif. J’avais l’idée tellement ancrée au cœur que tu reviendrais.

— Mais qu’avait-on fait de moi ?

— L’ennemi, ton frère, sans doute, bien que je n’en aie aucune preuve, avait dû me descendre dans le souterrain quand je dormais d’un sommeil provoqué par un narcotique, je pense, car je fus bien malade au réveil, ton frère, donc, t’avait mis à côté de moi, pauvre innocent âgé tout juste de deux ans !

— Alors, les souvenirs si vagues qui me reviennent datent de mes deux ans ?

— Evidemment. Je te fais grâce de mon chagrin, de ma colère, de mon impuissance quand je me vis séquestrée... Dieu ne voulut pas me laisser devenir folle. Et c’est toi, ta présence, puis ta pensée qui me soutinrent, Fanciullo mio.

— Mais alors, comment ai-je pu sortir ?...

— Tu étais si petit ! Après un mois de séjour à l’ombre, nourri de biscuit de mer trempé dans l’eau de la source, de sardines et de harengs, tu étais maigre, et je voyais que ta vie s’en allait, que j’allais te perdre. . Alors, avec tout ce que j’avais de forces, j’agrandis la fente du rocher, j’en ôtai la terre, la mousse, et je parvins à creuser un étroit passage. Je te le montrerai. Grâce à ton instinct — comme la plante — tu cherchais le jour et l’air. Tu te glissais de côté entre ces pierres, pressé rudement ; mais je t’encourageais à persister. Je me disais : quand j’entendrai un peu de bruit, je le pousserai, il sera recueilli... son sort ne saurait jamais être plus triste qu’ici. S’il meurt, ce sera sous le ciel du bon Dieu qui prendra sa petite âme.

René, le front appuyé sur les genoux de sa mère, ressentait un terrifiant souvenir. Il interrompit celle-ci,

— Au bout du couloir, ce fut le vide...

— Oui, j’entendis un cri d’épouvante, puis la chute de ton pauvre petit corps dans l’eau. Cette falaise était sans doute à pic sur la Semois. Le jour de ton départ devait être une splendide matinée d’été, autant que j’en pouvais juger par mon faible rayon. J’avais entendu chanter au dehors, donc il y avait quelqu’un, je comptais sur la divine Providence.

— Elle veillait... Elle me jeta aux bras des deux êtres les meilleurs qui existent sur terre. Toi, tu restais à gémir, tu aurais dû me garder.

— Non, tu serais mort à bref délai. D’ailleurs, ce n’était pas le plan de la Providence.

— En effet, mère, tous nos actes sont les réflexes de l’impulsion divine, du moins quand ils sont d’intention pure. Oh ! mène-moi au souterrain, fais-moi revivre le drame de mon enfance ; tes paroles éveillent comme une faible image au fond du brouillard.

— Allons... prends la grosse lampe. Mon rat n’aura jamais vu un tel éclairage. Il est capable de se cacher ; laisse ton inséparable Mousson, ici, cela achèverait d’épouvanter mon fidèle rongeur.

Alors, doucement, ils descendirent...