Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minées, abîmées, qui lui soufflaient de légères ondes de souvenir à peine perceptibles.

Il suivait une attirance à travers les grandes pièces froides, il contemplait. les tableaux... portraits d’ancêtres... paysages d’Italie, la baie de Naples d’un azur profond.

Une clochette agitée au bas de l’escalier le rappela à la réalité, la voix d’Albert criait :

— Hé, fiské, Godforden ! Monsieur est servi.

Alors René descendit. Ces mots flamands lui chantaient déjà comme un ancien écho.

Quand il entra dans le salon, ce fut pour lui comme un éblouissement. II crut défaillir tant son cœur bondit avec violence et il dut s’arrêter sur le seuil, s’appuyer un moment au chambranle.

Cette femme, au visage animé d’une lumière intérieure, aux yeux immenses et ardents qui le fixaient, oh ! il la reconnaissait ! Ce sourire tendre s’était penché sur ses sommeils d’enfant, cette robe à ramages bleus l’enveloppait jadis dans scs plis. Quand la voix suppliante l’appela : Figlio mio ! il reconquit ses forces, courut, et ses lèvres retrouvèrent l’instinctif accent : Mammina ! Cette fois la glace était rompue, le passé avait filtré à travers la couche d’oubli, la mère et le fils se contemplaient extasiés.

Leur journée fut exquise, bien qu’ils eussent ensemble plus de silences que de paroles ; leurs âmes se confondaient, ils n’avaient aucun mot capable d’exprimer le flot de souvenirs inexprimables. Ils se regardaient, ils s’aimaient. René ne s’étonnait pas de s’entendre appeler Pio.

Quand vint la nuit, il lui semblait n’avoir jamais quitté la maison, il disait maman avec une aisance naturelle et il s’endormit dans la chambre voisine de celle de sa mère, après lui avoir dit le plus doux des bonsoirs. Il s’endormit brisé d’émotion, de lassitude, redevenu Bébé...

Et elle, l’infortunée recluse, s’endormit aussi sans une pensée d’amertume, ayant tout pardonné dans le bonheur présent !

XXII

LE PASSÉ SE LÈVE

Le lendemain, Mme de Valradour se sentit beaucoup plus forte, elle essaya, appuyée sur le bras de son fils, de supporter le grand air, elle put faire, non sans quelques éblouissements, plusieurs pas dans le jardin.

Le temps s’adoucissait, un peu do soleil dorait les cimes, des roses de Noël fleurissaient sur la terre gelée, et le parfum des calicanthus, dont la clochette délicate s’épanouit sur le bois dénudé de l’arbuste, s’épandait dans l’air léger.

— Une oasis ! dit René, tu ne sais pas, Mamma, ce qu’est la guerre ! Valradour est une rareté au milieu des ruines.

— Non, je n’ai jamais vu la guerre, mais quand j’étais dans ma prison, j’ai entendu le canon bien souvent depuis plus d’un an. Tu as traversé les champs de bataille, Carissimo, pour venir à moi ? La Providence t’amenait.

— Oui, et si visiblement ! Quand nous serons rentrés près du feu, maman chérie, je te raconterai tout mon voyage... miraculeux.

— Il y a beaucoup de miracles dans ta vie. mon Pio ; le premier, je te le