Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Albert poussa un cri d’épouvante et, abandonnant la lanterne, remonta au galop. René, à cette apparition fantastique, retrouva ses forces, il acheva de descendre, et comme l’inconnue s’écriait avec un indicible accent :

— Mon fils !

II se prit à sangloter follement contre le cœur dont l’aimant invincible l’attirait. Cette scène inouïe ne peut être expliquée que par l’intuition, la rétraction de tous les liens qui attachent les mères à leurs enfants. Pas un instant la prisonnière n’avait hésité, douté ; elle avait reconnu son petit. Depuis douze ans, sa pensée fixée sans cesse sur lui, l’avait vu grandir, lui avait élevé un autel dans son cœur. Elle en avait rêvé dans chaque sommeil. Quant à lui, il ne s’expliquait rien, il ne cherchait à comprendre rien, il s’abandonnait avec une infinie douceur à une inexplicable tendresse et il rendait les baisers.

Il figlio mio ! Carissimo figlio mio !

Et René, qui n’avait jamais appris un mot d’italien, comprenait à merveille.

Comme la voix était prenante, comme le geste était maternel !

Quant il revint à lui, l’enfant murmura :

— Venez, sortons d’ici, la prison est ouverte. Avez-vous la force ? appuyez-vous sur moi.

— Je puis monter. Chaque jour je parcourais mes longs souterrains, j’essayais de garder un peu de souplesse et de chaleur pour le jour où tu reviendrais, Caro mio, car je savais que tu reviendrais ! J’ai tellement prié la Mère du bon Dieu.

Cependant, en haut du premier escalier, il fallut s’arrêter pour reprendre haleine, la malheureuse était épuisée.

René appela Albert.

Mais Albert était allé chercher Zabeth. Les deux serviteurs regardaient de loin, croyant à quelque sorcellerie.

— Ote la lumière, dit le fantôme, je ne sais plus supporter le jour... mais je te vois, mon fils ; je te vois tel que tu devais être ! ton grand frère est-il ici ?.

— Je ne sais pas, je ne sais rien... je suis venu seul pour vous délivrer, vous allez revenir à la vie, au grand jour. Je vous expliquerai tout, ne vous fatiguez pas ; pouvez-vous monter encore un étage ?

Un bras passé autour du cou de son jeune sauveur, la pauvre femme trouvait un reste de forces dans sa joie. Mais, à mesure que l’air et le jour la baignaient des effluves auxquels elle n’était pas habituée, elle faiblissait, elle s’écroula dans le hall. René n’eut que le temps de la poser sur une banquette où il s’assit, la soutenant contre lui.

Albert et Zabeth regardaient le tableau représenté par ces deux êtres aux traits semblables, avec un ahurissement dépassant toute description.

— Madame ! Seigneur Jésus ! C’est notre dame de Valradour ! et elle était là dans la cave, sais-tu... au fond... balbutiait Zabeth.

— Ses cheveux sont tout blancs, mais c’est la même jolie figure, ajoutait Albert ; a-t-elle les mains pâles et les joues maigres. De quoi qu’elle mangeait dedans ?

— Il faudrait du vinaigre ou de l’eau de Cologne, quelque chose de fort pour lui frotter les tempes, dit René, beaucoup moins étonné que les autres.

— Sans doute, je ne fais rien, Zabeth, c’est le fiské qui a raison. Cours dans le cabinet de toilette de M. Rheney.

— Courir, courir, bougonna la Flamande, j’ai les jambes quasi coupées, tu sais. Vas-y, toi, je retournerai faire le diner, c’est clair qu’elle meurt de faim, notre dame.