— J’avoue mon incapacité financière. Tu es un excellent pilote.
— Qui se permet de te rappeler que l’automobile louée pour la journée attend au sommet de ces coteaux, sur la route, et que le soleil est bien près de se coucher.
— Attends encore… Nous aurons tout à l’heure un merveilleux tableau quand les crêtes des collines seront éclairées seules, leur base noyée d’ombre. Songe que c’est notre adieu au pays, puisque je suis nommé à Paris et que demain nous devrons nous mettre au déménagement.
— Mon ami, je suis ravie d’aller à Paris.
— La vie y sera bien plus dispendieuse.
— Erreur, Raoul, quand on sait s’y prendre ; nous aurons l’indemnité de logement, une simple femme de ménage, je m’arrangerai ; tu verras comme ce sera bon à nous deux.
— À nous deux…
Il soupira, leur gros chagrin était de n’avoir pas d’enfant. Ils imploraient le ciel de bénir leur union et espéraient toujours la joie de voir entre eux un nouvel amour.
Cette pensée avait mis dans leur âme un peu de mélancolie ; les yeux perdus vers les cimes où se découpaient sur l’horizon rose les silhouettes à demi défeuillées des hêtres, ils songeaient à ces années stériles de leur jeunesse.
Lentement Marthe se leva, l’eau devenait couleur d’ardoise, les hautes collines arrêtaient les derniers rayons ; elle se pencha pour cueillir des bruyères poussées entre les roches, elle voulait emporter un bouquet de souvenir…
— Des fleurs sèches, soupira-t-elle.
Soudain, derrière elle, Raoul s’écria :
— Marthe, regarde, qu’est-ce qui flotte donc là-bas ?
Elle fixa le point qu’indiquait la main étendue de son mari.
— Une bête, sans doute, un chien, un mouton.
Ils descendirent au ras de l’eau, la chose dérivait, et à mesure qu’elle approchait une grande anxiété montait dans le cœur.
— Mais… on dirait un enfant I
— Tu crois, Raoul ?
Il y eut un silence angoissé… puis, sans une hésitation, l’officier sauta à l’eau. Le courant peu profond n’offrait aucun danger, le jeune homme n’avait guère d’eau que jusqu’à la ceinture. Il fit quelques pas, saisit la pauvre loque et revint chargé d’un petit être inerte. Il le posa sur l’herbe devant Marthe agenouillée, qui gémissait :
— Un bébé ! de deux ans environ. Ah ! Raoul, peut-être vit-il ?
Tout en parlant, elle arrachait le jersey de laine qui recouvrait les membres souples encore, mais glacés du petit noyé ; elle essayait de lui entr’ouvrir les lèvres pendant que son mari frottait énergiquement le corps. Puis ils lui élevèrent les bras d’une façon rythmique, les abaissant en mesure, afin de ramener l’air aux poumons. Marthe n’hésita pas à lui insuffler de l’air avec sa bouche. Après de longs efforts, ils crurent sentir au cœur un léger battement… La jeune femme eut un cri de triomphe, elle continua les soins avec ardeur. Bientôt l’enfant eut un hoquet et ramena une grande quantité d’eau.
— Sauvé !
Raoul l’enveloppa de son pardessus, le serra contre lui. Marthe ramassa les débris de vêtements après les avoir tordus pour les essorer, et, radieux de leur sauvetage, les jeunes époux remontèrent la colline pour rattraper la route où attendait l’auto.
Une fois installés dans la limousine, Marthe s’empara de l’épave : une