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branches mortes tombées en abondance ; le chien intelligent en prenait aussi dans sa gueule ; ils les mettaient au ras, au bord de l’eau, assez loin des sapins, de manière à ne pas incendier la forêt.

Quand le bûcher fut prêt, René tira son briquet et alluma instantanément les brindilles résineuses. IL choisit deux branches de houx vertes et fourchues, il les enfonça en terre, aiguisa une autre branche droite, y embrocha le lièvre et le posa sur les supports. Ceci fait, il attira de la braise sous son rôti et le retourna consciencieusement, La cuisine en plein air embaumait. Mousson en bâillait de faim, le feu était une joie aussi ; une lumière établie en contre-bas du talus ne pouvait être vue et la flamme se reflétait gaiement dans l’eau.

Le couvert est mis.

— Regarde, Mousson, dit le gamin amusé ; je vais faire une tasse pour boîre à présent. En dépouillant une branche de saule, je plie l’écorce, je la roule, je lie le bord avec une pelure d’ormeau, et voici le gobelet.

Il montrait la tasse rustique, tout joyeux, encore tellement enfant !

Le lièvre manquait bien un peu de sel, il sentait la résine, mais nos affamés le trouvèrent si excellent que pas même un os n’en resta. Mousson acheva la dernière bouchée avec le même entrain que la première.

Tout regàillardi, réchauffé, restauré, René poussa dans la rivière le reste des tisons, afin d’éviter tout danger d’incendie, puis il reprit sa marche ; le jour tout à fait venu, bien que sans soleil, pénétrait suffisamment pour rendre facile une marche sous bois.

Le sentier se perdait contre de grandes ruines couvertes de lierres.

— Est-ce Bouillon ? Est-ce Orval ?

Il fit le tour des pittoresques débris déserts, inhabitables, but de promenade pour les touristes en d’autres temps, à d’autres heures.

Quelques moineaux sortaient des lierres, des écureuils sautaient, couraient, jouaient en liberté, évidemment peu de passants s’aventuraient dans ces parages abrupts. Un lointain écho de clairon rappela Werner à son chauffeur forcé.

— S’il me cherche, songea celui-ci, il aura de la peine à imaginer où je me trouve. En tous cas, il ne s’inquiétera pas de moi ; la belle kulture allemande apprend que la reconnaissance est une faiblesse. Au fait, c’est à moi qu’il a rendu service, se dit René, non sans sourire. A midi, je serai à Valradour ! La belle randonnée accomplie en moins de huit jours.

XIX

VALRADOUR

Valradour a une consonance pyrénéenne plutôt que belge, le mot rime avec amour, avec retour, avec bonjour, se disait le petit Français tout en sautant par-dessus les racines et les pierres aux bords marécageux de la Semois. Je vois là-bas, au coude de la rivière, une colline cultivée et un beau château à mi-côte, ce doit être mon but ! Voilà justement un rayon de soleil qui dore une tour grise, un rayon pour saluer mon arrivée.

Il leva son béret et s’écria joyeux, modifiant sa devise :

— Je suis arrivé. « Dieu l’a voulu. »

Mousson, surpris de cette allégresse, poussa un jappement pour se mettre à l’unisson. René fit sonner sa montre ; douze coups, mi-jour, premier décembre. Vive la France !