— Où allez-vous ?
René était pris au dépourvu. Que dire ?
— Je dois aller attendre au pont l’arrivée du général Hindenbourg...
René avait lancé au hasard le nom de cet homme illustre. Le soldat, par chance, était un simple, il avait pour consigne de laisser passer ceux qui avaient un numéro, il l’exécutait sans plus, le porteur étant en règle.
René s’élança libéré, le cœur vaillant ; hors du cercle de lumière concentré par les globes électriques, la nuit était épaisse, le soleil ne se lèverait pas avant 7 h. ½ d’ici là il fallait marcher... sans savoir où... s’éloigner surtout.
Il regarda sa boussole avant de franchir l’espace lumineux, il savait devoir s’orienter vers l’Ouest. Il pensait suivre le bord de la rivière autant que possible et pour cela il était limpide qu’il fallait descendre, il ne risquait pas de s’égarer en prenant la route en ce sens.
Il s’enfonçait entre deux bois tout noirs, séparés par une étroite bande plus claire, assez glissante, avec de profondes ornières gelées. Quelques étoiles tremblotaient là-haut ; la lune, au dernier quartier, ne se montrait plus. Le vent chantait-il dans les sapins ou était-ce le bruit du torrent ? Le jeune voyageur ne pouvait s'en assurer, mais aucune défaillance ne noyait sa foi. Il avait surmonté de telles difficultés et avec tant de bonheur ! Il n’était d’ailleurs pas trop mal sur ce chemin abrité, absolument désert, inclinant du côté Ouest. De temps à autre, un bruit de courses effarées dans les fourrés lui indiquait la présence de gibiers. Mousson dressait les oreilles prêt à bondir.
Bientôt il aperçut le miroitement de l’eau, le chemin tournait à droite et à gauche, René s’arrêta. Avant de s’engager dans le sentier absolument obscur de droite, il était prudent d’attendre le jour. Il entra sous un sapin, s’assit sur une branche horizontale, s’appuya le dos contre une autre et songea que s’il trouvait à déjeuner il n’aurait plus à se plaindre du sort. Il se mit à réciter sa prière du matin.
Des cloches sonnèrent au château, un appel de clairon, une sirène d’automobile ; bref, l’éveil, la reprise de la vie. Pour s’occuper, René grimpa de branches en branches, jusqu’au sommet du sapin. De là, il découvrait la bande rose pâle d’un lever de soleil d’hiver embrumé et, au Nord, le grand château toujours éclairé de la base au faîte. Il apercevait le clocher de la chapelle, muet et sombre. Peu à peu, les sommets devinrent grisâtres, la dernière étoile disparut, une grande traînée de brume resta étendue entre ciel et terre, laissant tout juste filtrer le jour terne de décembre.
Le garçon redescendit, il verrait à se conduire à présent ; il s’engagea dans le routin qui devait être délicieux en été, sous les arbres ombreux, superbes. En ce moment, il était encore agréable, quelques maigres bruyères persistaient à l’égayer de leurs frêles tiges violettes. René en cueillit une fleurette ; comme il la piquait à sa boutonnière, il entendit une course folle et le cri lamentable d’un lièvre pris dans la gueule du chien.
— Voilà Mousson qui a conquis son déjeuner, songea-t-il ; si nous partagions ?
L’animal avait deviné le désir de son maître, il rapportait, tête et pattes pendantes, un joli levraut.
— Bravo ! mon chien. Les Robinsons que nous sommes vont se régaler ; donne ta chasse.
Tout de suite, le petit Français se mit en devoir de dépouiller le gibier. Il avait vu souvent Juliette attacher un lièvre par la patte, le suspendre et lui enlever sa fourrure. De tous ses yeux, Mousson suivait le travail dont il comprenait le but. Ce ne fut pas long. René ramassa ensuite les