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C’était fort simple, partout des globes électriques indiquaient le chemin des communs. Il entrevit aussi le grand bâtiment aux murs cachés par des lierres, ancienne maison des officiers de service du roi Albert. Les officiers allemands y avaient pris leur cantonnement.

Des gardes, revêtus encore de la livrée belge, lui montrèrent une place dans un des garages où il s’engouffra avec sa machine. Ensuite on lui remit une plaque de métal avec un numéro. René lut : 45. Il demanda :

— Où peut-on souper et coucher ?

— Il y a une tente à l’entrée de l’avenue, vous pouvez y aller.

— L’hospitalité allemande n’a rien d’écossais, songea René tout en suivant à pied la belle avenue où des massifs de chrysanthèmes se voyaient encore.

À sa grande surprise, dressée au sommet d’un vallonnement entre les arbres dénudés, il aperçut un haut crucifix abrité dans une niche losangée et qu’éclairait en plein une ampoule irisée.

— Ceci doit dater du temps de Mme du Miniel, songea-t-il ; je suis content de pouvoir penser à elle ici, d’avoir devant les yeux son sympathique visage, au milieu de l’effarement actuel. Ah ! voici la tente, elle ne donne pas beaucoup l’idée du luxe impérial. Voyons, il y a même deux tentes, devant chacune un factionnaire. Quel luxe de précaution ici. Je suis pour le moment assimilable à un serviteur, bien que chez nous les conducteurs d’autos militaires soient souvent des jeunes gens de famille, inaptes au service armé. Je suis, en réalité, un personnage hétéroclite avec mon costume en velours à côtes, mon béret de laine, mon cliien jaune ; j’ai plutôt l’air d’un vagabond et même d’un vagabond qui a faim.

— Vous avez un numéro ? fit le garde de l’entrée en arrêtant René.

— Voici : 45.

— Passez.

Sous l’abri, il faisait assez chaud, l’air était embué dé la fumée des pipes ; des chauffeurs en veste de cuir étaient attablés devant des plats de choucroute et de saucisses posés sur le bois ciré à côté de pots de bière.

Le jeune Français s’assit devant une place vide, son chien se coula à ses pieds. Un soldat cuisiner lui apporta immédiatement une profonde assiette de potage d’orge et lui dit :

— Vous pouvez prendre votre suffisance dans le plat de choucroute et de la bière à volonté. Voici une ration de pain.

Ce disant, il posait un morceau de pain de seigle près du couvert.

— Merci. Voulez-vous donner une soupe à mon chien ?

— Est-ce que vous avez un bon pour le chien ?

— Non. Donnez-lui quelques restes.

— Il n’y a pas de restes.

— Comment ! pas de restes ! Dans les cuisines impériales, il n’y a pas la nourriture d’un chien l s’écria imprudemment le petit Français.

Des hommes qui engloutissaient de la nourriture levèrent la tête, puis se remirent à absorber leur portion. René tendit son assiettée de soupe à Mousson qui, en doux coups de langue, la mit au net. Il lui donna après la moitié de ses choux, de sa saucisse et de son pain. Cela suffit tout juste à mettre le maître et l’animal en appétit.

— Si seulement je trouvais une auberge près d’ici, pensait l’affamé… mais non ; il n’y a pas de village à moins de huit à dix kilomètres. Où donc allons-nous coucher ? « Qui dort dîne. » Réaliser ce proverbe serait ce qui pourrait nous arriver de plus heureux.

Il quitta la tente-restauration et voulut entrer dans la tente-dortoir, qui