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Il vira selon l’ordre, la ville était devant lui. Sedan, dont chaque pierre évoque la guerre de 1870, Napoléon épuisé, mourant, vaincu ! Des larmes montaient aux yeux du petit mécanicien.

— A la Kommandatur, le drapeau vous l’indiquera, dit Werner par l’acoustique.

Ce n’était pas loin. Le drapeau allemand se balançait au soleil, en face le drapeau blanc frappé de la croix rouge d’une ambulance, où justement entrait une voiture emplie de blessés. René freina brusquement, s’arrêta net. Les deux Allemands descendirent, leurs papiers sous le bras, et Werner dit à René avec une certaine déférence :

— C’est très bien, attendez-moi.

René mordit durement ses lèvres pour ne pas riposter par une insolence.

Il était 2 heures après-midi, les vingt kilomètres qui séparent Mézières de Sedan avaient été franchis en une demi-heure.

— Si je filais avec leur auto, pensait le jeune Français, blême de rage, de froid, de faim... je serais repris bien vite et jeté en prison, ce qui ne m’avancerait guère. Où vont-ils me mener à présent s’ils font une inspection des villes ?

Il n’attendit pas longtemps. Werner ressortit en coup de vent et lui cria :

— Allez déjeuner vite, faites votre plein d’essence ; vous me conduirez ensuite au château des Amerois, dans les Ardennes.

Ah ! quelle clarté joyeuse inonda le cœur de René au moment où il s’enfonçait dans le découragement.. Non, vraiment, il ne devait jamais douter de la protection divine, son ange conducteur le menait par la main. Voilà maintenant cet Allemand qui le conduisait juste à son but, à quelques kilomètres de Valradour !

Il rendit le contact, fit quelques tours de roues et stoppa devant Gasthousetopf. C’était un nom bien allemand, mais il n’avait pas le temps de choisir. Il s’installa devant une table de bois, juste contre la devanture vitrée, afin de surveiller son auto, car il y tenait à son auto, à présent ! Un garçon maigre, pâle, boiteux, comme à l’heure actuelle on en trouve (faute des plus robustes, tous partis), s’approcha :

— Que désire Monsieur ?

René sourit et répondit en français, tant l’autre avait mal prononcé les mots germaniques :

— Une tranche quelconque de rôti, des pommes de terre, de l’eau et une soupe pour mon chien.

La figure du servant s’illumina, il reprit en français de Montmartre :

— Chic, alors ! ici on parle français. Ce que je vas vous soigner ça !

En effet, René fut servi avec sollicitude et Mousson eut une pâtée abondante. Le garçon, serviette sous le bras, restait le plus possible près de son client. A cette heure tardive, les déjeuners étaient finis.

Evidemment, il mourait d’envie de causer, René le comprit :

— Vous êtes Parisien ?

— Oui, j’ai été surpris ici au moment de la guerre. Vous n’êtes pas Boche, ÿous non plus, ça se voit.

— Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies vous entendent !

— Je sais, mais par pitié, dites-moi (il baissa le ton), ils ne sont pas à Paris, nous les battrons.

— Pour sûr, fit René en allongeant un bon pourboire qu’il dissimula dans une cordiale poignée de main.

Mais le valet rendit le mark.

— Ah ! non, pas cela. Vous m’avez fait tant de bien !

L’émotion de son brave compatriote gagnait René ; il lui serra une seconde